Première femme élue à la tête du conseil national de l’ordre des architectes, Catherine Jacquot s’attache à faire bouger les lignes de la qualité architecturale en France. Après avoir bataillé contre « la France moche » puis avoir élevé la voix lors du concours Réinventer Paris qui omettait de rémunérer les architectes sur leurs propositions, elle fait le point sur les défis qui attendent la profession.

Décideurs. La loi LCAP (Liberté de création, architecture et patrimoine) votée le 7 juillet 2016 constitue selon l’Ordre une « très grande satisfaction pour l'architecture du quotidien ». Quelles sont vos prochaines attentes ?
 

Catherine Jacquot. La loi est une belle avancée pour l’aménagement des territoires ruraux et la périphérie des villes et des bourgs. Elle donne un cadre législatif important pour la qualité architecturale et urbaine. Un environnement et un cadre de vie dépourvus d’attrait pour les citoyens génèrent de la souffrance : l’esthétique est totalement liée au confort et aux usages. L’architecture du quotidien apparaît ainsi comme une nécessité d’intérêt général. L’urbanisme de « zonage » qui caractérise la France des périphéries est par exemple beaucoup plus agressif que dans d’autres pays européens, comme l’Italie. Une construction, un quartier de ville ou même la réhabilitation d’un centre-bourg sont des opérations complexes qui demandent une pertinence des acteurs qui décident et financent. En cette année d’élections, nous interrogerons les candidats sur leurs intentions quant à la politique du logement et de la ville.

 

Quelles questions allez-vous précisément leur adresser ?  

 

Avec la réduction des fonds d’État et de la commande publique, la privatisation devient nécessaire. Mais on doit se poser la question du type de ville qu’elle va produire. Nous interpellerons directement les candidats sur l’encadrement des marchés privés. Comment aider les collectivités locales à mettre à profit l’apport financier des promoteurs et des investisseurs tout en garantissant l’intérêt général et en relevant le défi du mal logement ?

 

Le CNOA remplit un rôle prospectif. Quelles sont les transformations majeures qui attendent la profession ?  

 

La profession d’architecte évolue pour accompagner et anticiper les immenses mutations écologiques, numériques et économiques qui sont devant nous. L’excellence de la formation dans les écoles, le développement de la recherche et de la formation continue sont des enjeux majeurs pour que les architectes aient les moyens d’assumer leurs responsabilités touchant les questions d’environnement, d’aménagement et d’urbanisme… Nous allons vers la création de nouvelles structures d’entreprises, avec des collectifs et des associations qui vont permettre un travail pluridisciplinaire. Toute la filière du bâtiment doit entrer dans une nouvelle ère d’économie circulaire et numérique pour favoriser des dispositifs innovants et répondre aux attentes sociales.

 

Dans quel sens la relation avec les maîtres d’ouvrage et l’ensemble des acteurs du cadre bâti doit-elle évoluer ? 

 

En 2017, nous allons poursuivre le dialogue avec les aménageurs, les promoteurs privés et les constructeurs de maisons individuelles afin de mieux comprendre les attentes réciproques de chaque métier et ainsi instaurer des pratiques qui respectent les cultures professionnelles de chacun. Nos objectifs de qualité d’usage, environnementale et architecturale sont réciproques. Nous proposerons un guide de bonnes pratiques dans le cadre de consultations d’architectes d’initiative publique ou privée.

 

Que peuvent apporter les architectes pour résoudre la crise du logement ?

 

La question du mal logement est un fléau qui touche des millions de personnes en France. Ne pas habiter dans des conditions dignes compromet l’accès à l’emploi, l’éducation des enfants, la santé, et accentue de façon très importante les discriminations économiques et sociales. Il faut éradiquer l’insalubrité, la précarité énergétique en réhabilitant et en construisant plus de logements notamment sociaux. La loi LCAP, en instituant le recours obligatoire à des équipes pluridisciplinaires de concepteurs dont un architecte dans les permis d’aménager les lotissements, va permettre une nouvelle approche des quartiers résidentiels. Les architectes ont la conviction qu’un logement n’est ni un produit, ni un objet technique. C’est un objet culturel, patrimonial, un lieu de vie.

« Un logement n’est ni un produit, ni un objet technique »

 

Quelles tendances vous apparaissent les plus pertinentes pour fabriquer la ville de demain en France ? 

 

La ville de demain est un écosystème qui se reconstruit sur lui-même. Elle va vers la mise en place d’une économie circulaire recyclant les déchets et réemployant les matériaux. Le réseau urbain en France est riche de ses villes moyennes et de ses bourgs qui assurent la vitalité des vastes territoires ruraux. La ville de demain ne concerne pas que les métropoles ! Elle doit s’ancrer dans les cultures locales et respecter les usages, le climat, l’histoire et la géographie toujours spécifiques de chaque lieu. Mondialisation ne signifie pas uniformité. C’est la diversité qui crée l’intérêt et le désir de vivre ensemble.

«  La ville de demain ne concerne pas que les métropoles ! »

 

Concernant la profession en elle-même, à forte dominante masculine, comment encourager la parité ? 

 

Comme le montre notre dernière étude Archigraphie, les discriminations restent importantes, notamment chez les architectes salariés où des écarts de salaires de 25 % entre hommes et femmes sont constatés. Les jeunes femmes sont moins nombreuses à s’inscrire au tableau de l’Ordre que leurs collègues masculins. Mais dans les écoles, on y est, la parité est là ! Un très grand nombre de femmes architectes émergent. Pour ne citer qu’elles, Corinne Vezzoni, Odile Decq, Manuelle Gautrand… C’est aussi la première fois que l’on place une femme à la tête de l’Ordre. Un bon signal.

 

 

Propos recueillis par Laetitia Sellam
 

 

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