Par Emmanuelle De Schepper, avocat of Counsel, Dentons
Dans l’industrie pharmaceutique ou les industries fabriquant des produits sous des marques à forte notoriété, il est habituel de parler de sous-traitance (1) ou de façonnage qui pratiquement imbriquées, revêtent en droit, des aspects différents et peuvent obéir à un régime particulier.

C’est le cas du contrat de façonnage (2), au fort développement ces dernières années dans la sous-traitance pharmaceutique. Les grands laboratoires, pour rester compétitifs, externalisent la production de leurs médicaments chez des « façonniers ». Le façonnier fabrique ainsi une spécialité pharmaceutique pour l’exploitant du médicament, qui la commercialise.

Quand une opération de fabrication est-elle un travail à façon et obéit-il à un régime particulier ?

Les critères distinctifs proviennent essentiellement de la réglementation fiscale, impliquant parfois un régime de TVA différent ; plus ténues sont les différences juridiques.

L’article 256 IV-1°) du Code général des impôts (3) dispose que les opérations de façon sont des prestations de services : le façonnier facture à son client un service et non un produit fini, d’où la distinction.

Recherchons les définitions pour analyser ensuite le régime applicable.


I – Définitions

La réglementation fiscale définit le façonnage sur la base de critères fiscaux permettant une distinction juridique.

A/ Critères fiscaux
Fiscalement, le travail à façon consiste à mettre en œuvre, travailler une chose en vue de lui donner une nouvelle forme. Elle appartient en outre à un tiers, donneur d’ouvrage.

Ce service consiste pour le façonnier à remettre à son client un bien meuble qu’il a fabriqué ou assemblé au moyen de matières ou d’objets que le client lui a confiés à cette fin, même si le façonnier fournit certains des matériaux utilisés.

Sera hors champ l’opération de fabrication ne constituant pas une prestation de services mais plutôt une livraison de biens, un contrat d’entreprise ou encore un marché de fournitures.

La doctrine administrative (4), grâce à la jurisprudence, édicte quatre conditions cumulatives pour le travail à façon :
  • le façonnier ne doit pas devenir propriétaire des produits qui lui sont confiés par son client.
  • la valeur des marchandises apportées par le façonnier doit être inférieure à celle des matières confiées par le client augmentée du coût de l’intervention du façonnier.
  • les matériaux fournis par le client doivent être restitués à l’identique (5) ou, sous certaines conditions, à l’équivalent.
  • un produit nouveau est réalisé (6).
Le contrat où le fabricant fournit et demeure propriétaire des matières premières nécessaires à la fabrication du produit fini puis les facture intégralement au client ou qui ne satisfait pas aux conditions précitées, ne qualifie pas de façonnage.

B/ Critères juridiques
La mission du façonnier comprendra ainsi juridiquement deux aspects substantiels :
  • le stockage des matières premières nécessaires à la fabrication sont fournies par le client et lui appartiennent ; il reste propriétaire du produit pendant la fabrication jusqu’à sa livraison. Le façonnier n’en devient jamais propriétaire.
  • la fabrication et le conditionnement permettent de mettre à disposition du client un produit nouveau, transformé.
Ces aspects déterminent le régime applicable aux façons.


II – Régimes

Les façons peuvent avoir un régime de TVA différent des fabrications, les professionnels du droit devant rédiger le contrat de façonnage avec précaution.

A/ Régime fiscal
La base d’imposition de la TVA du travail à façon est sur le seul prix de l’intervention du façonnier.

Les fabrications simples sont assujettissables à la TVA sur le montant total des sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir en contrepartie de la livraison des biens fabriqués, valeur des biens remis par le client comprise.

Le taux de TVA applicable à la façon est fonction du taux des produits obtenus (7), soit 10% ou 2,1% en matière pharmaceutique (8).

Si le produit nouveau obtenu ne relève pas du taux normal, la TVA applicable au façonnage sera un taux spécifique, différent du taux généralement applicable aux livraisons de biens ou aux autres prestations de services (9) relevant du taux qui leur est propre, souvent le taux normal.

Ceci clarifie le régime juridique du contrat de façonnage.

B/ Régime juridique
Les contrats de « façonnage » feront ressortir que la plus importante partie des matières premières nécessaires à la fabrication du produit fini est fournie par le client et que le produit stocké, fabriqué, conditionné et mis à disposition du client demeure sa propriété du début jusqu’à la fin.
Ils identifieront le responsable des risques de la chose devant assurer le stockage des matières premières, les encours de production et les produits à livrer, et le moment du transfert des risques, à la livraison du produit (10).

Ils détailleront souvent les droits des parties en matière de propriété industrielle et intellectuelle : le client demeure souvent le propriétaire exclusif de ces droits relativement aux produits fabriqués, développements compris et les met à disposition du façonnier pour la durée du contrat puis les récupère à sa fin.

Le contrat de « fabrication » prévoira que le client devient seulement propriétaire de l’entièreté du produit au moment de sa livraison, selon l’incoterm applicable. Le transfert des risques est calé sur le transfert de propriété.

Cette synthèse résume les principales différences juridiques et fiscales entre contrats de façonnage ou de fabrication que nous avons rencontrées. D’autres différences ou régimes juridiques apparaissent mais ils sont essentiellement le fruit des négociations entre les parties, de leurs rapports de force et du contexte économique concerné et s’appliquent invariablement aux deux catégories de notre étude.



Emmanuelle De Schepper
Avocat à la Cour / Of Counsel

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(1) Non abordée ici. La loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 donne à la sous-traitance des caractéristiques et un régime particuliers

(2) En anglais, tolling v. manufacturing

(3) Selon l’article 19 II de la loi 95-1347 du 30 décembre 1995 : transposition de la directive 95/7/CE du 10 avril 1995 (simplifications en matière de TVA) ; la délivrance d’un travail à façon n’est plus une livraison de biens

(4) BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-40

(5) Ils doivent toujours rester individualisés chez le façonnier

(6) Transformation différenciant des autres prestations de services telles des prestations de réparation

(7) L’intérêt existe si la façon porte sur des produits ne relevant pas du taux normal

(8) 10% pour les façons portant sur les préparations magistrales, produits officinaux et médicaments ou produits pharmaceutiques destinés à l'usage de la médecine humaine (article 278 quater du CGI) ; 2,10% pour les médicaments remboursés par la sécurité sociale (article 281 octies du CGI)

(9) Dont fabrication simple

(10) Rédaction variant selon qui assumera les risques du stockage des marchandises du client et l’incoterm applicable à la livraison. A défaut, les articles 1789 et suivants du Code civil régissent la responsabilité du façonnier

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