Alors que les négociations sur le traité transatlantique piétinent, David O’Sullivan, ambassadeur de l’Union européenne auprès des États-Unis, tenait une conférence devant l’European American Press Club le 25 juin dernier. Revenant sur les grands enjeux du traité, il s’est montré optimiste quant à sa signature, dénoncée depuis deux ans par une bonne partie de l’opinion publique.
La pomme de discorde se nomme « partenariat transatlantique de commerce et d’investissement » (ou TTIP pour l’acronyme anglais). L’accord, visant à mettre en place une vaste zone de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne n’a cessé de faire couler de l’encre depuis le début des négociations à l’été 2013. L’opacité des discussions, la possible fragilisation du tissu entrepreneurial européen et la subordination des États aux multinationales sont dénoncées. De quoi faire froid dans le dos. Face à l’European American Press Club, David O’Sullivan s’est fait le chantre du libre-échange, insistant sur les avantages du partenariat et soulignant qu’au stade des pourparlers rien n’était fait. « Le cricket est un sport beaucoup trop palpitant pour refléter le degré d’ennui de ces négociations », s’amuse-t-il. Même si le G7 souhaite que le processus accélère et que le Congrès américain a autorisé Obama à négocier, il faut en général quatre à cinq ans pour arriver à un consensus. Le diplomate s’est néanmoins montré optimiste et espère obtenir un texte avant la fin 2016 et le départ du président nord-américain.

« C’est un débat tellement abstrait »

Pour David O’Sullivan, nul besoin de s’inquiéter d’un texte qui n’a même pas encore vu le jour. « C’est un débat tellement abstrait » soulignait-il le 25 juin dernier. Exemple patent : le partenariat entre l’Union européenne et le Canada obtenu en 2014 après quatre ans de discussions. Il doit encore être traduit en vingt-trois langues, signé et entériné par différents parlements. Pour l’ambassadeur irlandais, c’est bien la preuve que l’opinion publique a voix au chapitre par le biais parlementaire. Autre raison de « dédramatiser », l’Union européenne négocie de nombreux accords de par le monde. Elle est au centre du plus vaste réseau de libre-échange et « elle vit de l’échange » a insisté le diplomate.

Les États-Unis sont d’ailleurs son premier partenaire commercial et les échanges entre les deux zones représentent plus de la moitié du commerce mondial. D’après le Centre for Economic Policy Research (CEPR), le TTIP permettrait d’accroître l’économie européenne de 120 milliards d’euros soit 0,4 % de son PIB. Outre-Atlantique, le gain s’élèverait à 95 milliards d’euros. Le traité vise aussi à renforcer l’alliance géostratégique américano-européenne qui a d’ailleurs fait ses preuves dans le conflit ukrainien. « À Washington, tout le monde reconnaît que sans les institutions européennes, il aurait été difficile de faire respecter les sanctions contre la Russie » confie David O’Sullivan.

Le TTIP, entre psychose et sueurs froides.

Le projet de Grand Marché Transatlantique a été réactivé en 2006 par le Parlement européen et le Congrès américain. Le sujet n’est donc pas nouveau. Initié dans les années 1990 avec une déclaration d’engagement politique et un programme d’action commun, l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) avait échoué.

Depuis le 14 juin 2013, les pourparlers ont repris au grand dam de certains qui dénoncent leur manque de transparence. Un secret nécessaire à toute discussion pour David O’Sullivan. Selon lui, le caractère démocratique est garanti puisque les négociateurs sont mandatés par la Commission européenne. Surpris par la réaction du public, il s’est exclamé : « Je ne comprends pas pourquoi un accord commercial avec les États-Unis inquiète autant ». Outre-Atlantique, le partenariat transpacifique (TPP) est davantage redouté car il englobe des pays avec peu de règlementations et des niveaux de salaires inférieurs.

Alarmé par l’opinion publique, le Parlement européen avait décidé de voter une résolution pour fixer « des lignes rouges ». Le 10 juin dernier, le vote a été abandonné et le débat reporté par peur de faire éclater au grand jour les dissensions qui règnent au sein de l’organe européen.

Les dossiers qui coincent

Interrogé sur les trois grands dossiers qui coincent dans les négociations, David O’Sullivan a éludé la question. Le débat reste donc entier. Les normes alimentaires et sanitaires cristallisent l’anxiété. Les spectres du « poulet au chlore » et autre « bœuf aux hormones » sont dans tous les esprits. L’ambassadeur de l’Union européenne a précisé que l’idée était de construire un accord « sans compromettre aucun de nos standards élevés ». Face à la montée en puissance des pays asiatiques, il a aussi pointé du doigt que l’UE et les États-Unis auraient tout intérêt à définir ensemble des standards globaux.

L’autre grand épouvantail, c’est le règlement des différends entre investisseurs et État (RDIE). Le mécanisme d’arbitrage privé protège les sociétés étrangères contre toute décision publique qui pourrait nuire à leurs investissements. En 2004, le groupe américain McGill obtenait par exemple 90,7 millions de dollars du Mexique, ce dernier ayant instauré une nouvelle taxe sur les sodas. Pour le collectif Stop TAFTA, ce serait subordonner les États et les peuples à l’avidité des multinationales. Le négociateur irlandais juge qu’il ne s’agit pas de « régler tous les problèmes mais de mettre en place des mécanismes pour le faire ». Il a d’ailleurs fait savoir que « les inquiétudes de la société civile seront prises en compte ».

Quant à la question de la propriété intellectuelle, elle tourmente particulièrement la France qui a insisté pour que le cinéma soit exclu des discussions. Les États-Unis, pour leur part, refusent que le thème des services financiers soit abordé. Ce que regrette le représentant de l’UE : « Nous souhaitons un accord sur la règlementation des services financiers mais le Trésor américain craint de perdre en indépendance». Une seule interrogation demeure : Europe et l’oncle Sam parviendront-ils à s’entendre ?

Sophia Sanni Soulé

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