Le président du Cercle Montesquieu, très remonté contre le CNB, ne décolère pas après le rejet de la proposition de création de l’avocat en entreprise dans le projet de loi Macron.
Décideurs. Au lendemain de l’abandon du statut d’avocat en entreprise dans le projet de loi Macron, vous concentrez votre colère contre le Conseil national des barreaux (CNB). Pourquoi ?
Denis Musson
. Nous sommes effectivement, avec l’AFJE, très en colère puisque le CNB est tout d’abord parvenu à faire avorter la création du statut d’avocat en entreprise prévue dans le projet de loi en discussion. Le CNB en vante désormais les mérites, pour repousser toute autre évolution alternative indispensable et légitime pour les la profession de juriste d’entreprise. Cette position est d’autant plus incompréhensible que l’ordre des avocats de Paris nous a soutenus initialement courageusement, avec le gouvernement, en reconnaissant la nécessité de mieux protéger l’exercice du droit des juristes d’entreprise.
Les débats à l’Assemblée nationale, les travaux de la commission Ferrand, de la mission puis de la commission spéciale parlementaire étaient clairs sur la nécessité de faire évoluer notre profession dans le sens d’une plus grande harmonisation avec les régimes existants dans les grands pays de droit étranger, et dans 18 pays de l’Union européenne. Les propositions d’amendement de tous bords politiques, prenant acte de l’abandon du statut d’avocat en entreprise, allaient quand même dans le sens du progrès et de la modernité pour les juristes d’entreprise en France. Il est incompréhensible que le CNB s’y soit opposé pour des raisons corporatistes, au détriment de l’intérêt collectif du pays, ses entreprises et l’ensemble de ses professionnels du droit.

Décideurs. Au stade de la discussion devant le Parlement, que préconisez-vous ?
D. M.
Nous rappelons que nous sommes déjà une profession réglementée puisque les juristes d’entreprise sont mentionnés dans l’article 58 de la loi du 31 décembre 1971. Cet article est cependant imprécis lorsqu’il nous donne la faculté d’exercer le droit. Nous demandons une clarification de l’article 55 pour lever les incertitudes sur les obligations de secret professionnel des juristes d’entreprise, couplée avec le bénéfice d’une confidentialité de leurs avis et correspondances. L’autre option tout à fait acceptable est celle de nous confier un régime spécifique de confidentialité adapté à l’exercice de nos fonctions juridiques. Cette option est moins ambitieuse que l’idée de l’avocat en entreprise mais elle peut constituer une solution intermédiaire pour rediscuter avec la profession d’avocat. Il nous semble étonnant, sinon révoltant, que le CNB s’oppose à cette solution intermédiaire qui ne les concerne pas !

Décideurs. Vous indiquez que la relation entre les juristes d’entreprise et les avocats pourrait bien se dégrader si le CNB campe sur ses positions. Que voulez-vous dire ?
D. M.
Nous demandons au CNB de cesser de diffuser ce message d’opposition à l’égard de notre profession et demandons aux cabinets d’avocats un engagement fort en faveur de l’avocat en entreprise ou, à défaut, de la confidentialité de nos avis et correspondances. Cet engagement pourrait constituer à l’avenir un critère préalable de sélection des cabinets présents dans les panels de nos entreprises. À terme, nous pourrions en venir à encourager les liens avec les cabinets situés à l’étrangers, au détriment d’une collaboration avec les cabinets français. De surcroît, il est certain que si les choses ne progressent pas, les entreprises étrangères délocaliseront les départements juridiques à l’étranger, puisque le directeur français et ses équipes sont considérés comme le maillon faible de la fonction juridique des groupes internationaux en raison de l’absence de protection de ses avis. C’est le cas de la société canadienne Bombardier, qui l’a indiqué ouvertement.
Nous voulons éviter d’arriver à cette situation qui pénaliserait toutes les professions juridiques, et les plus jeunes en particulier. Nous n’attendrons pas 20 ans avant ce changement indispensable, sans quoi les entreprises, la place de droit et les professionnels français, perdront irrémédiablement en compétitivité.

Propos recueillis pas Pascale D'Amore

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