Que ce soit au stade de sa formation, pendant son exécution ou encore lors de sa rupture, le contrat de travail repose sur un équilibre fragile entre les droits et devoirs de l’employeur et son salarié. En cause, une évolution de la jurisprudence qui vient bouleverser la nature même des clauses qui avaient, par essence, vocation à sécuriser l’entreprise dans la rédaction du contrat. Retour avec le cabinet Desanlis sur les zones à risques du contrat.

Décideurs. Sur quoi repose l’insécurité des contrats aujourd’hui ?

Anne Lemarchand. Nos clients nous demandent souvent de réaliser des contrats types mais également de résoudre des situations, parfois épineuses, relatives à l’exécution de contrats que nous n’avons pas rédigés. Dans chacun des cas, nous nous sommes rendu compte que l’évolution de la jurisprudence était venue renforcer la liberté du salarié et le respect de son droit à la vie privée. Rédiger aujourd’hui des contrats inattaquables qui satisfont tout le monde devient de plus en plus compliqué compte tenu de ces mutations permanentes. C’est le cas notamment de clauses rédigées à un instant T qui peuvent être remises en question à tout moment. Il est alors impossible pour l’employeur de sécuriser complètement une situation, à un stade du contrat, par exemple, l’évolution du lieu de travail, la non-concurrence ou l’exclusivité. Ce que le client a considéré comme acquis ne l’est plus.

 

Décideurs. Dans chacune des clauses, quelles sont les avancées de la jurisprudence qui tendent à modifier l’équilibre du contrat ?

A. L. Convenir d’une clause de mobilité, qui lors de sa rédaction est tout à fait solide, permet en principe de muter le salarié si l’entreprise déménage. Un juge tiendra toutefois compte de l’espèce pour la rendre opposable ou non au salarié, essentiellement quand la situation personnelle de ce dernier a évolué et qu’il s’estime fondé, du fait de ses propres contraintes qui primeraient alors sur celles de l’entreprise, à ne plus honorer son engagement initial intégré au contrat.

 

Jean-Philippe Desanlis. Nous avons également relevé un accroissement des conflits relatifs aux clauses de non-concurrence. C’est en effet une entrave à la liberté de travail et cette interdiction préjudicie donc le salarié dans l’évolution de sa carrière. Les difficultés d’emploi sont telles que cela devient nécessairement un sujet de tension. L’État de Californie interdit depuis plus de trente ans ce type de clause ; certains pays d’Europe du nord ne laissent pas à l’employeur la possibilité de s’en délier au moment de la rupture du contrat de travail ; entre ces positions opposées, le droit du travail français a introduit en 2002 l’obligation d’indemniser cette sujétion. Depuis lors, le juge est de plus en plus attentif à ses conditions de validité (étendue géographique et temporelle), mais surtout à sa stricte nécessité au regard du poste visé par l’interdiction et de l’intérêt de l’entreprise, outre l’instauration de délais très brefs pour délier le salarié de cette clause.

 

A. L. Enfin, concernant les clauses d’exclusivité, la pratique contractuelle selon laquelle le salarié s’engageait à ne travailler que pour une seule entreprise – sans justifier cette restriction à sa liberté – a vécu : la jurisprudence estime que ce que le salarié fait en dehors de son temps de travail, sauf actes concurrents naturellement, échappe dorénavant au contrôle de l’employeur ; il est donc nécessaire de ne pas se limiter à une clause de style et d’expliciter très précisément dans le contrat un intérêt légitime particulièrement solide de la société.

Nous notons d’ailleurs une tendance à la prise en compte de l’évolution du consentement du salarié

Décideurs. Le rapport de force est-il en train de s’inverser dans le cadre des clauses de non-concurrence ?

J.-P. D. Pourquoi ces clauses ont-elles été permises ? Notamment parce que l’on estimait que la plus-value acquise par le salarié  l’avait été chez l’employeur lui-même, lui donnant, par conséquent, le droit de limiter l’évolution de carrière de son ex-salarié chez ses concurrents. Mais aujourd’hui un certain nombre d’entreprises choisissent de rédiger ce type de clauses par confort, pour des postes ne la justifiant pas nécessairement, estimant ainsi – à juste titre pour l’heure – qu’ils pourront la lever en cas de rupture de contrat. En pratique, au moins quatre clauses sur cinq sont levées et, le coût aidant, il faut que la crainte d’un dommage pour la société soit suffisamment caractérisée pour qu’elle soit maintenue. Mais le salarié se retrouve dans la plus parfaite incertitude s’il souhaite changer d’employeur : la société va-t-elle le délier de sa clause au moment de sa démission ? C’est sur ce point que la jurisprudence peut évoluer et ne plus permettre à l’employeur de lever unilatéralement cette clause, même si cela est prévu initialement dans le contrat de travail. Si toutefois la clause de non-concurrence est maintenue, nouvelle incertitude pour les parties : la clause sera-t-elle valide ? Cela aboutit à des contentieux sur l’intention initiale des parties, la réalité de la concurrence des sociétés en cause ou du poste visé, etc. D’où la nécessité, outre une rédaction la plus claire possible, de ne conclure une clause de non-concurrence que dans les seuls cas de postes bien identifiés comme présentant un véritable risque pour la société.

 

Décideurs. Un contrat peut-il être complètement sécurisé ?

J.-P. D. On constate actuellement un déplacement de la logique selon laquelle c’est l’intention des parties au moment de la conclusion du contrat qui prévaudrait. Quelques réflexions existent en droit commercial notamment, qui permettrait de sortir de ce principe historique, avec la prise en compte de l’évolution que les parties entendent donner au contrat qui les lie. En droit de la consommation, on peut désormais changer d’opérateur téléphonique ou d’assureur à tout moment. Cette évolution du droit général semble poindre et pourrait s’appliquer au droit d’exception qu’est le droit du travail. Nous notons d’ailleurs une tendance à la prise en compte de l’évolution du consentement du salarié, avec par exemple les dispositions de la loi Macron sur le travail du dimanche, basé sur le volontariat : les accords collectifs à venir en la matière devront prévoir la réversibilité ou l’évolution de ce volontariat.

 

Décideurs. Avez-vous détecté d’autres sources d’insécurité ?

A. L. L’exécution de bonne foi du contrat de travail est un principe qui est de plus en plus opposé aux employeurs en cas de contentieux, lorsque le salarié manque d’outils juridiques solides à opposer à une clause qu’il souhaite contester. La bonne foi suppose que la clause ne soit pas détournée de son objectif.

À ce titre, les clauses de rémunération variable apparaissent comme une source d’insécurité forte si leur rédaction n’est pas limpide. 

À ce titre, les clauses de rémunération variable apparaissent comme une source d’insécurité forte si leur rédaction n’est pas limpide. Prenons le cas d’un salarié qui refuserait ses objectifs. Il entrave ainsi l’exécution du contrat et le paiement de sa rémunération variable. Le principe de la bonne foi – dans la mesure où ses objectifs ne sont pas jugés irréalisables – est donc souvent utilisé par les juges pour trancher un litige qu’aucun autre principe juridique classique n’encadre. Initialement, la première source juridique était la loi des parties. Or il faut en permanence anticiper la décision du juge : donnera-t-il une priorité à la nécessité économique de l’employeur et à son pouvoir de direction ou privilégiera-t-il la liberté du salarié ? Pour chaque dossier, au regard du droit positif, nous réalisons une estimation des risques pour que nos clients fassent des choix éclairés.

 

J.-P. D. L’objectif, lorsque l’on rédige un contrat de travail, est précisément d’anticiper les divergences qui pourraient survenir au cours de l’exécution du contrat de travail, en application de telle ou telle clause ; d’où l’intérêt de rédiger dès le départ des contrats équilibrés pour que ses clauses soient claires, applicables au fil du temps et surtout comprises et admises par les deux parties. Si l’on en est à devoir convaincre un juge que la clause attaquée est légitime et surtout applicable à une période donnée, c’est que l’on n’a pas réussi à convaincre le salarié de son bien-fondé.

 

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