Par Stéphane Perrin, avocat associé. Delsol Avocats
La publication du décret d’application relatif à l’action de groupe en matière de consommation (1) permet l’entrée en vigueur, le 1er?octobre 2014, de cette mesure phare de la loi Hamon du 17 mars 2014 (2) .

Après plusieurs décennies de tergiversations et de demi-mesures, le droit français se dote d’une procédure de recours collectifs en matière de consommation, à l’instar d’autres États membres de l’UE (3). Aussitôt, pas moins de quatre actions de groupe étaient annoncées, visant une société de gestion immobilière, deux bailleurs sociaux, un assureur ou encore une association d’épargnants. Cela montre à quel point ce dispositif était attendu, du côté des associations de consommateurs du moins.

L’action de groupe à la française
Il est vrai que les associations agréées de consommateurs (4) sont au cœur du dispositif dont l’objet est de «?fournir aux consommateurs une arme efficace pour obtenir réparation collectivement en cas de préjudice résultant de pratiques abusives, frauduleuses, dans le champ de la consommation et de la concurrence (5)?». Mais l’action de groupe à la française n’est pas la class-action à l’américaine, fustigée pour ses dérives. Pas question d’accorder des dommages et intérêts punitifs et il a été fait le choix d’un système en «?Opt-in?» faisant que l’action ne bénéficiera qu’aux personnes qui y auront consenti (6). L’action de groupe made in France devra être enfin exclusivement engagée par une association agréée de consommateurs.

Un dispositif très encadré
Le dispositif est très encadré mais il n’est pas exempt d’incertitudes. Le domaine de l’action est tout d’abord limité. Il ne peut s’agir que de la réparation de préjudices individuels d’ordre patrimonial subis par des personnes physiques et résultant de dommages matériels consécutifs au manquement d’un professionnel à ses obligations légales ou contractuelles à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ou de pratiques anticoncurrentielles. S’en trouve donc exclue la réparation d’un préjudice moral ou d’un dommage corporel. Les litiges devront relever du droit de la consommation ou des pratiques anticoncurrentielles, excluant ceux relevant du domaine médical, pharmaceutique ou encore environnemental. Lorsqu’il s’agit de préjudices moraux ou corporels, de questions environnementales ou de santé publique, seuls les recours individuels sont possibles. L’action de groupe est ensuite placée sous le contrôle du Juge qui statuera sur la responsabilité du professionnel et définira le(s) groupe(s) de consommateurs placés dans une situation similaire ou identique. Cette notion n’est pas précisée par loi et ne l’a pas été par le décret d’application. Il y a donc sur ce point une première incertitude puisque la constitution du groupe dépendra de la seule appréciation du Juge. Le Juge déterminera les préjudices susceptibles d’être réparés pour chaque consommateur ainsi que leur montant ou leur évaluation. À ce stade, le Juge peut condamner le professionnel au paiement d'une provision à valoir sur les frais de justice exposés par l'association (frais d’avocat et d’huissier), et sur les frais de publicité. Il s’agit d’éviter un blocage de l’action en raison de l’inertie du professionnel dans la mise œuvre des mesures d’information et dans l’avance des frais. Le professionnel est donc susceptible de devoir faire face à des frais importants avant l’issue de la procédure. Une fois que le Juge se sera prononcé sur la responsabilité du professionnel, il y aura lieu d’informer les consommateurs. Il a en effet été fait le choix d’un système «?d’opt-in?» qui suppose la mise en œuvre de mesures de publicité destinées à informer les consommateurs des conditions d’adhésion au(x) groupe(s). Nouvelle incertitude pour les professionnels. Il leur sera difficile d’anticiper combien de consommateurs se joindront à l’action. Les mesures de publicité seront mises en œuvre par le professionnel puis par l’association aux frais du professionnel, mais une fois que la décision de condamnation sera devenue définitive. Il reviendra au Juge de décider de la durée et de la nature de ces mesures. Le texte ne contient pas à cet égard de restriction quant aux supports, qui pourront être des médias traditionnels mais aussi des vecteurs comme l’Internet et les réseaux sociaux. La loi prévoit une procédure simplifiée ayant recours au système «?d’opt-out?» lorsque l’identité et le nombre des consommateurs lésés peuvent être connus et que le préjudice subi est de même montant pour chacun d’eux. Dans ce cas, le professionnel dont la responsabilité est engagée, sera condamné à les indemniser directement. Signalons enfin la particularité de l’action de groupe dans le domaine de la concurrence qui ne pourra être que consécutive à une décision définitive de l’Autorité de la concurrence ou d’une juridiction, en tout cas pour la partie relative à l’établissement de la pratique. Laquelle sera alors réputée établie de manière irréfragable. De fait, les entreprises réfléchiront à deux fois avant de s’engager dans une procédure de non-contestation des griefs ou de clémence.

Faut-il en redouter les effets ?
Les premières actions de groupe annoncées montrent que les secteurs tels que la banque, l’assurance, le logement ou les télécoms sont dans le collimateur. Toutefois, la concurrence entre les associations de consommateurs agréées existe et elles ne prendront certainement pas le risque, dans un premier temps, de se lancer à l’aventure. Ainsi, l’action engagée par Que Choisir et qui porte sur la facturation de services d’échéance, a déjà donné lieu à un jugement de condamnation du TGI de Paris en décembre 2013 (7). Celle annoncée par la CLCV à l’encontre d’un assureur est dans le prolongement d’un précédent judiciaire tranché par la cour d’appel de Paris en septembre 2013 (8). Le domaine limité de l’action ne devrait pas ensuite entraîner des conséquences financières exagérées pour les entreprises puisqu’elles resteront limitées au remboursement du prix du produit défectueux ou du service indûment facturé. Mais il reste que cette procédure va permettre des actions qui auparavant n’auraient pas été engagées individuellement. Il y a donc bien création d’un risque nouveau que les professionnels devront anticiper et provisionner le cas échéant. Autre risque substantiel, celui lié à l’atteinte portée à l’image de l’entreprise, non seulement eu égard aux mesures de publicité générées par la condamnation, mais également par l’environnement médiatique qui entourera le lancement de chaque action de groupe. Aux termes de l’étude d’impact du projet de loi sur la consommation (9), il était toutefois noté que «?les procédures d’action de groupe mises en œuvre [dans d'autres États membres] n’ont pas pesé de manière significative sur l’économie nationale de ces pays?» et n’ont pas abouti à «? des surcoûts assurantiels et judiciaires disproportionnés pour les entreprises?».



1 JORF n°0223 du 26/09/2014
2 Loi n°2014-344 portant création des art. L.423-1 et s. du Code de la consommation
3 En 2013 des procédures d’actions collectives existaient en Suède, au Danemark, au Portugal, en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne et aux Pays-Bas
4 Au nombre de quinze
5 B. Hamon in Décideurs – «?Guide Risk Management, Assurance & Contentieux?» 2013/2014, p.29
6 Circulaire du 26/09/2014, p.14
7 Communiqué de presse Que choisir 01/10/2014
8 Communiqué de presse CLCV 30/10/2014
9 Étude d’impact du 30/04/2013


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