« Le risque lié à la faute inexcusable pèse directement et immédiatement sur la trésorerie des entreprises »
Décideurs. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2013 impose aux employeurs de payer immédiatement et sous forme de capital la majoration de la rente pour faute inexcusable. Quel sera l’impact de cette disposition pour les entreprises ?

Bertrand Lotte. Cette nouveauté est un point dangereux pour celles qui ne sont pas ou mal assurées. Auparavant, les entreprises condamnées à payer une majoration de rente au salarié victime avaient la possibilité d’étaler le paiement de leur dette sur vingt ans. Le recouvrement s’effectuait par l’imposition d’une cotisation supplémentaire, qui plus est plafonnée. À partir du 1er avril 2013, il s’effectuera par récupération du capital représentatif de la rente. Désormais, le risque pèse directement et immédiatement sur la trésorerie des entreprises et il en va de leur survie pour celles qui sont dans des secteurs à risque. Pour les entreprises qui sont assurées, beaucoup de contrats de responsabilité civile incluent une assurance « faute inexcusable ». L’assurance permet ainsi de se protéger contre un tel risque financier.


Décideurs. Quel est le périmètre des préjudices indemnisables ?

B.L. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 18 juin 2010, a étendu le champ des préjudices indemnisables à tous les préjudices non couverts par le code de la sécurité sociale mais indemnisés en droit commun de la responsabilité civile. Aujourd’hui, la Cour de cassation se livre, pas à pas, à un travail de qualification des préjudices, au-delà de la nomenclature Dinthilac, afin de déterminer lesquels sont déjà indemnisés par la sécurité sociale et ceux qui le seront en application du droit commun. Les récents arrêts du 4 avril 2012 vont dans ce sens. Cependant, ces décisions conformément à l’arrêt du Conseil constitutionnel, ne remettent pas en cause l’indemnisation forfaitaire des préjudices déjà pris en charge par la sécurité sociale. Par exemple, les frais médicaux sont déjà indemnisés et ne sont donc pas considérés comme des préjudices complémentaires alors que le préjudice sexuel sera indemnisé en sus de la rente. Le travail prétorien de la Cour permettra, au fil des décisions, de clarifier les modalités d’indemnisation des préjudices selon leur typologie.


Décideurs. Comment les entreprises peuvent-elles limiter les risques ?

B.L.
Pour gérer le risque en aval, les entreprises doivent souscrire à une assurance « faute inexcusable ». Pour le diminuer en amont, elles doivent travailler à la maîtrise des accidents de travail et des maladies professionnelles. Cet objectif passe par la prévention. Les employeurs doivent être pointilleux dans l’élaboration et surtout l’actualisation régulière du document unique qui doit être certifié conforme. Un travail de fond impose une tolérance zéro à l’égard des collaborateurs qui ne respectent pas les règles de sécurité. Aujourd’hui le risque d’engager sa responsabilité pénale est accrue et appelle à la prudence. Mais au-delà de ce risque pénal, une maladie professionnelle ou un accident du travail est toujours un moment traumatisant pour une entreprise. On constate parmi nos assurés que la prise de conscience est depuis longtemps déjà bien engagée.


Décideurs. Les employeurs ne pourront plus soulever l’inopposabilité de la procédure lorsque les caisses n’auront pas respecté leurs obligations d’information du caractère professionnel de la maladie ou de l’accident. Cette nouveauté aura-t-elle des conséquences sur les polices d’assurance ?

B.L. Le risque de condamnation est effectivement décuplé par cette nouvelle disposition qui constitue une violation du principe du contradictoire. Si l’on s’en tient à la lettre du texte, une caisse pourra reconnaître le caractère professionnel d’un accident ou d’une maladie sans même en avoir informé l’employeur qui pourtant connaît les conditions de travail de ses salariés et les obligations qu’il a imposées. Si la loi permet à l’entreprise de contester le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, alors la réforme n’aura servi à rien sauf à retarder le débat entre la caisse et l’entreprise. Si, au contraire, elle met fin définitivement à la possibilité de contester le caractère professionnel d’une maladie ou d’un accident, alors l’article 86 constitue une véritable atteinte aux droits de la défense. Il est indispensable que l’entreprise puisse faire valoir son avis et ses arguments. Sauf à violer les principes généraux de notre droit, la CPAM ne peut pas prendre une décision sans débat. Si la LFSS permet cette contradiction, il est certain que la constitutionnalité de cette mesure devra être évoquée.

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