INFLUENCEUR. Auteur du rapport « Un islam français est possible » réalisé en 2016 pour l’Institut Montaigne, Hakim El Karoui estime urgent de « déconnecter l’organisation cultuelle des influences extérieures » pour favoriser l’émergence d’un islam de France digne de ce nom : en phase avec les réalités sociales de sa population autant qu’avec les intérêts de la société française dans son ensemble. Rencontre anti-langue de bois.

Décideurs. Quelle est aujourd’hui la principale problématique de l’islam de France ?

Hakim El Karoui. C’est qu’il n’existe pas. Ou pour être plus précis, que sa réalité organisationnelle ne correspond absolument pas à la réalité sociale puisqu’il est structuré de manière à servir les intérêts de pays étrangers qui sont, non pas le Qatar et l’Arabie saoudite comme beaucoup le pensent, mais l’Algérie, le Maroc et la Turquie, qui contrôlent et financent les mosquées françaises. De ce constat découle un problème politique, social et organisationnel, puisqu’une telle gestion est aujourd’hui totalement inefficace. C’est un fait, le CFCM (Conseil français du culte musulman) est aujourd’hui incapable de faire passer des consignes dans les mosquées et donc, de favoriser un alignement sur l’intérêt général de la France.

À quoi attribuez-vous cette inefficacité ?

Essentiellement au fait que les mosquées sont aux mains d’imams étrangers, parlant mal le Français voire, pour certains, ne le parlant pas du tout. Ils sont totalement déconnectés des valeurs et du quotidien des jeunes à qui ils s’adressent. Une telle organisation valait tant qu’elle s’adressait à une population d’immigrés, autrement dit jusqu’aux années 1980-1990. Aujourd’hui, elle s’adresse à des personnes nées en France. On a bien quelques imams d’origine française, mais ils sont peu nombreux, mal payés...

Que préconisez-vous ?

Le plus important est de mettre en place les circuits qui permettront de financer durablement le fonctionnement d’un véritable islam de France. Cela n’a rien d’impossible : l’islam de France est riche. Cette richesse provient du commerce hallal, des dons et du business du pèlerinage. Il est donc parfaitement à même de financer ses imams. Cela implique de remettre le Maroc, l’Algérie et la Turquie à leur place et donc de contrarier certains intérêts économiques et politiques, mais c’est la seule façon de permettre l’émergence d’un islam de France. C’est la seule façon de le déconnecter des influences extérieures et, finalement, de se donner les moyens de lutter efficacement contre le fondamentalisme.

Concrètement, comment favoriser une telle refonte de l’actuelle organisation ?

En faisant en sorte qu’en France, le culte musulman soit administré par des personnes dépourvues d’intérêts économiques ou politiques, hors de tout jeu d’influence. Cela implique de collecter l’argent nécessaire aux trois sources existantes de manière à former et salarier les imams, construire les mosquées et financer le travail théologique. C’est à ce prix que l’on permettra l’émergence d’un islam de France qui profite à tous. Les institutionnels de l’islam n’ont évidemment pas intérêt à ce que les choses évoluent, c’est pourquoi il faut procéder avec cette organisation comme Emmanuel Macron a procédé avec la classe politique. Pour cela il faut quelques acteurs prêts à s’engager et, surtout, prêts à se montrer exigeants avec les membres de la communauté musulmane au lieu de continuer à accepter d’eux ce que jamais on n’accepterait, dans le contexte actuel, d’autres acteurs sociaux : en tolérant qu’ils soient aussi peu professionnels et fournissent aussi peu de résultats.

Faute de quoi ?

Faute de quoi les fondamentalistes continueront à gagner du terrain en France, ce qui représente, outre un enjeu de sécurité majeur, un problème dont les effets s’étendent bien au-delà de la mosquée puisqu’il touche l’ensemble de la communauté musulmane, aujourd’hui perçue comme globalement fondamentaliste par une part croissante de la société française. Cela alimente les clivages et favorise la montée du communautarisme, selon un cercle vicieux bien connu.

Propos recueillis par Caroline Castets

@CaroCastets1 

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