À l’approche de l'élection présidentielle, l’Europe est redevenue un sujet majeur des débats. Pour y voir plus clair, Jérôme Creel, économiste, directeur du département des études de l’OFCE et professeur associé à l'ESCP Europe, dresse un état des lieux des relations économiques entre la France et l’Union européenne.

Décideurs. La France anticipe une croissance de 1,7 % en 2017. Figure-t-elle parmi les bons élèves de la zone euro ?

 

Jérome Creel*. La France fait partie du groupe de tête. Car si sa croissance est au niveau de la moyenne de la zone euro, le fait qu’elle y dispose d’un poids économique important, juste en deçà de celui de l’Allemagne, lui permet de conserver son avance par rapport à des pays de taille plus modeste. Parmi les autres bons élèves, on peut évoquer l’Allemagne, dont la croissance attendue serait proche de celle de la France, mais elle pourrait beaucoup souffrir du regain de protectionnisme. A contrario, l’Italie figure parmi les derniers de la classe avec une croissance faible, inférieure à 1 %, un déficit en hausse et un système bancaire en difficulté.

 

L’économie française tire-t-elle profit de l’Union européenne ?

 

Oui, car il s’agit d’une économie ouverte. Environ la moitié de ses exportations sont en direction de l’Union européenne (UE) et il en va de même pour ses importations. Globalement, l'UE constitue un gain de bien-être pour la France. L’existence de cette zone a entre autres permis à l’économie française de développer sa capacité d’attractivité au niveau des investissements. De nombreuses firmes internationales s’y sont installées pour cette raison.

Au niveau des aides, en revanche, la France demeure l’un des principaux pays contributeurs nets au budget européen. Les bénéficiaires nets proviennent des pays d’Europe centrale et orientale. 

 

Le choc du Brexit ne s’est pas encore fait sentir. Pensez-vous que c’est le Royaume-Uni ou l’Union européenne qui a le plus à perdre dans les négociations à venir ?

 

Concernant l’UE, on peut observer deux risques potentiels. D’une part, la perspective d’un Brexit dur pourrait amener à une perte de l’excédent commercial vis-à-vis de la Grande-Bretagne, soit 6 % du produit intérieur brut du Royaume-Uni. Ce qui n’est pas négligeable ! D’autre part, en cas de Brexit souple, le risque potentiel est de voir découler des négociations un accord à la carte au profit des États, ce qui pourrait donner lieu à des velléités de départ pour certains d’entre eux. Conséquence : c’est l’intégration européenne qui en pâtirait.

Pour le Royaume- Uni, c’est la remise en cause de son passeport financier pour les banques et la City qui constitue la principale menace : cela pourrait être un frein pour la libre circulation des capitaux vers ces pays et pourrait profondément modifier la spécialisation du royaume. 

 

Quelles seraient les conséquences pour la France d’une sortie de l’Union européenne comme le prônent Marine Le Pen et dans une moindre mesure Jean-Luc Mélenchon ?

 

Il n’est pas possible à l’heure actuelle d’avoir des chiffres exacts, que ce soit en termes de gains ou de pertes. L’éventualité d’une sortie de la France déboucherait sur un éclatement de la zone euro car son départ signifierait la perte d’un pays fondateur. Un tel scénario serait également synonyme d’interrogation,s avec l’idée de redéfinir les institutions ou encore les rapports avec les opérateurs financiers. L’incertitude engendrée par ce scénario est très importante ; elle serait certainement accompagnée d’une augmentation forte des coûts de financement de l’économie française, et avec un regain d’inflation, d'une baisse sensible du pouvoir d’achat des Français.

 

 « L’éventualité d’une sortie de la France déboucherait sur un éclatement de la zone euro »

 

Limiter les pouvoirs de la Commission comme le souhaite François Fillon en instaurant notamment un directoire politique, est-ce une mesure qui a du sens ?

 

L’idée de voir émerger une entité politique fédérale agissant dans le cadre d’une coordination des politiques budgétaires n’est pas mauvaise en soit. Reste à savoir de quelle manière : le directoire ainsi créé porterait-il la voix de tous les États membres ou bien uniquement celles de certains d’entre eux ? Et lesquels ?

L’adoption de limites au pouvoir de la Commission suppose avant tout de ne pas la diaboliser. Il est important de ne pas faire passer celle-ci pour la seule coupable dans la gestion de toutes les politiques économiques qui ont pu être mises en place au cours des dernières années.

L’idéal, au travers d’une telle mesure, serait l’instauration d’une politique budgétaire plus coordonnée et différenciée qui tiendrait compte des divergences entre les États. Ainsi, on pourrait penser à une version expansionniste dans les pays en crise et restrictive pour ceux dont la croissance est forte. Cela s’avérait efficace en complément de la politique monétaire.

 

La perspective d’une Europe avec plusieurs cercles d’intégration est-elle la solution la plus envisageable dans l’immédiat ?

 

Il s’agit d’une solution en opposition à l’idée fondatrice de l’UE, à savoir d’atténuer les divergences entre États en menant des politiques communes. Admettre plusieurs cercles d’intégration, c’est accepter l’idée que les États sont différents et qu’ils ne puissent pas avancer au même rythme. Ce processus va à rebours de ce que voulait l’Union européenne : un marché unique pour les biens, les services, les personnes et le capital. On serait dans une forme de discrimination entre une première ligue qui verrait se jouer les grands matchs entre pays les plus riches et les plus exportateurs, mettant en avant leur mercantilisme, et une seconde ligue avec les pays les moins performants.

 

 « On serait dans une forme de discrimination avec une première ligue qui verrait se jouer les grands matchs »

 

Quelles mesures faudrait-il prendre pour améliorer l’intégration européenne ?

 

L’un des mesures envisageables serait d’aller vers un élargissement de la zone euro, sans conditions préalables dont on a vu qu’elles n’avaient pas suffi à assurer la convergence des économies. Cela permettrait de créer par une zone considérable de commerce, qui concurrencerait les États-Unis voire, dans une moindre mesure, l’Asie, et par des politiques communes, les conditions à la solidarité de fait des États membres de l’UE.

 

Propos recueillis par Gatien Pierre-Charles

 

*Jérôme Creel a récemment coordonné l’ouvrage de l’OFCE, L’Économie européenne, collection Repères, aux éditions La Découverte.

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