Par Fabrice Cacoub, avocat associé. Lawington
Par un revirement opéré en 2011, puis confirmé en 2012, la Cour de cassation a affirmé qu’un cautionnement hypothécaire consenti par une SCI en garantie de la dette d’une autre société devait, pour être valable, non seulement résulter du consentement unanime des associés, mais également être conforme à l’intérêt social de la SCI, ce qui a suscité de nombreuses critiques et incertitudes juridiques.

Parce qu’il est fréquent d’isoler l’immobilier d’entreprise au sein d’une structure dédiée, en dissociant les murs de l’exploitation, la SCI est souvent sollicitée pour garantir les prêts contractés par ceux qui lui sont proches : soit le locataire de son immeuble social (en l’occurrence la société d’exploitation ayant les mêmes associés et/ou dirigeants), soit les associés eux-mêmes. Le principal actif de la SCI est alors mis à contribution sous la forme d’un cautionnement hypothécaire pour garantir la dette d’autrui. La question de la validité de ce type de sûreté a fait l’objet d’une jurisprudence pléthorique et d’un récent revirement qui n’est pas sans susciter une inquiétude grandissante des praticiens.

La jurisprudence traditionnelle : trois critères alternatifs
Traditionnellement, la Cour de cassation validait ce type de sûreté sous réserve que l’une des trois conditions alternatives suivantes fût satisfaite : soit elle entrait expressément dans l’objet social de la SCI (en vertu du principe de spécialité énoncé à l’article 1849 du Code civil1), soit elle caractérisait une «?communauté d’intérêts?» (forme d’intérêt social de groupe de sociétés) entre la SCI et le débiteur garanti, soit enfin elle résultait du consentement unanime des associés2. De l’avis de la doctrine dominante, le système ainsi mis en place était efficace et offrait aux parties une grande sécurité juridique. En pratique, les banques demandaient en amont l’autorisation unanime de l’acte par les associés de la SCI et bénéficiaient ainsi d’une sûreté valable à coup sûr leur permettant de dispenser leur crédit. Or, par un revirement spectaculaire, la Haute Juridiction a, selon un auteur3, «?saccagé ce bel édifice jurisprudentiel?» en adoptant une position hostile aux banques.

Le revirement opéré par la Cour de cassation
Par un arrêt du 8?novembre 2011, la chambre commerciale a en effet affirmé que «?la sûreté donnée par une société doit, pour être valable, non seulement résulter du consentement unanime des associés, mais également être conforme à son intérêt social?». Ainsi, le cautionnement, pour être valide, doit réunir ces deux conditions cumulatives. En l’espèce, pour retenir la contrariété de la sûreté à l’intérêt social de la SCI, la Cour de cassation avait retenu que «?l’immeuble donné en garantie [par la SCI] était son seul bien immobilier, que l’opération ne lui rapportait aucune ressource, mais grevait très lourdement son patrimoine, exposé à une disparition totale sans aucune contrepartie pour elle, au risque de l’existence même de la [SCI]?».
Par un arrêt du 12?septembre 2012, la troisième chambre civile a rallié cette conception en affirmant que «?le cautionnement même accordé par le consentement unanime des associés n’est pas valide s’il est contraire à l’intérêt social?». Reste à savoir si cette unicité de jurisprudence sera confirmée ou, au contraire, ébranlée par la première chambre civile.
Une telle conception a fait l’objet de nombreuses critiques de la part de la doctrine en raison de l’immixtion des juges qu’elle a consacrée, de son immoralité et de l’insécurité juridique qu’elle a créée.

Immixtion des juges, immoralité et insécurité juridique
Tout d’abord, aucun texte du droit commun des sociétés (ou des contrats) ne permet d’ériger l’intérêt social en condition de validité des contrats conclus par une société, et en particulier des sûretés consenties par elle. En prétendant trier les bonnes sûretés des mauvaises sur le fondement de l’intérêt social, les juges s’arrogent un pouvoir que la loi ne leur reconnaît pas. Il est pourtant difficile d’admettre qu’un juge puisse ainsi s’immiscer dans le fonctionnement de la société et remettre en cause une délibération sociale licite (l’octroi d’une sûreté), adoptée à l’unanimité des associés, en considérant qu’elle n’est pas suffisamment justifiée par l’intérêt social. Qui est juge de l’intérêt de la société sinon les associés ? D’autant que la notion d’intérêt social est un concept malléable, qui divise plus qu’il ne fédère, comme en atteste l’abondante littérature consacrée à ce sujet.
Ensuite, cette solution aboutit à récompenser la mauvaise foi. Comme l’exprime un auteur réputé4, la solution adoptée par la chambre commerciale et ralliée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation est «?immorale?» dès lors qu’elle permet aux associés qui ont consenti l’hypothèque de renier purement et simplement leur consentement. Or, le respect de la parole donnée, même dans le monde des affaires, ne fait-il pas partie de la moralité la plus élémentaire ?
Enfin, une telle solution, qui permet aux associés de désolidariser leur main droite (qui possède l’immeuble) de leur main gauche (qui exploite l’entreprise) en reniant sa signature de la garantie, est source d’une grande insécurité juridique pour les banques prêteuses.
Dans l’attente d’un nouveau revirement, la pratique a donc dû proposer des remèdes aux méfaits de cette jurisprudence.

Les éventuels remèdes apportés par la pratique
Pour éviter que les sociétés d’exploitation ne se heurtent au refus de crédit des banques, soucieuses de bénéficier de garanties valables, un auteur5 a imaginé que ce soit la SCI qui emprunte directement les fonds et consente une hypothèque à la banque prêteuse, puis qu’elle prête à son tour les fonds à la société d’exploitation qu’elle entendait garantir.
En pratique, les banques ont exigé de nouvelles garanties, plus redoutables, pour dispenser leur crédit : soit le cautionnement personnel des dirigeants et/ou associés de la SCI, soit surtout la constitution d’un nantissement portant sur la totalité des parts de la SCI garante (report, en somme, de la garantie de l’immeuble social vers les parts de la société propriétaire dudit immeuble). Dans une période où l’offre de crédit se raréfie, il serait bien imprudent de refuser d’accorder ce type de garanties.


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