L’AMF et la Banque de France viennent de créer le Haut comité juridique de la place financière de Paris. Retour avec son président sur les ambitions de la nouvelle institution.
Décideurs. Pourquoi avoir créé le Haut comité juridique à la place financière de Paris ?
Michel Prada.
La création de cette institution est guidée par le constat selon lequel de plus en plus d’environnements juridiques qui président au développement de l’activité financière se déterminent par l’évolution européenne ou internationale. Nous avons été, en France, plus réactifs que proactifs. Le Haut comité est un instrument de réflexion qui se dote d’une vision prospective en anticipant les problématiques susceptibles d’impacter les acteurs de la place.
Nous réfléchissons au type de rapports que la France veut entretenir avec l’Europe afin d’être proactifs et d’éviter que nos « exceptions » nous placent dans une situation minoritaire ou de désavantage compétitif. Le lancement d’une « union européenne des marchés de capitaux » qui est en cours de préparation est une bonne opportunité. Nous arrivons au bon moment pour que la place de Paris soit leader dans ce mouvement en cours de réalisation. Le Haut comité a vocation à réaliser un travail de fond qui s’inscrit dans la durée. Nous venons de tenir notre première réunion constitutive et nos statuts sont en cours de dépôt.

Décideurs. Comment le Haut comité agit-il avec le Comité de droit financier Paris Europlace que vous dirigez également ?
M. P.
Le Comité de droit financier Paris Europlace fait un bon travail technique dans le cadre domestique et à plus court terme. Par exemple, en matière de développement de la titrisation ou de fiducie, ce comité propose des amendements au dispositif législatif et réglementaire français. Le Haut comité change de perspective : une action sur le long terme, de principe, avec une vision plus internationale. La coopération sera en tout cas étroite entre les deux comités.

Décideurs. Le Haut comité a-t-il vocation à préconiser une forme de norme ?
M. P.
Pas vraiment. Nous ne sommes pas un organisme réglementaire mais un comité de réflexion. Nos études seront cependant suffisamment abouties pour que les autorités publiques puissent s’en saisir. D’ailleurs, il n’est pas impensable que nous nous essayons à la rédaction de projets de textes suite à nos travaux. C’est en réalisant ce travail de mise en forme que nous parviendrons parfois à affiner notre réflexion : entre l’idée et le texte, il y a tout un monde ! Si nous sommes sollicités par la Commission européenne, nous répondrons présent. Mais nous ne procèderons à aucune activité de lobbying. Il n’y a aucun enjeu de pouvoir.

Décideurs. Quel est le rôle principal du Haut comité ?
M. P.
Nous voulons contribuer à ce que la place prenne la mesure de ses avantages et de ses faiblesses et qu’ensemble nous affinions nos positions, mieux et plus tôt. Nous défendons le système français dans le cadre européen et mondial, mais nous devons aussi promouvoir son évolution. Créé conjointement par l’AMF et la Banque de France (c’est-à-dire l’ACPR), le Haut comité, auquel assisteront le Trésor et la Chancellerie, réunit des personnalités engagées sur ces sujets : avocats d’affaires, universitaires, magistrats et professionnels de l’entreprise. Nous devons nous donner le temps de l’analyse et de la mesure. Les normes actuelles de régulation financière ont été adoptées pour répondre à une situation à risque. C’est une des raisons de la volatilité de notre système. Face à l’agitation juridique post-crise financière, il y a urgence à se pencher sur certaines questions de fond, dans la nouvelle perspective de l’union des marchés de capitaux et du soutien de la croissance voulu par le G20.

Décideurs. Quels sont les sujets sur lesquels vous aller travailler ?
M. P.
Nous devons tout d’abord les identifier en sollicitant les leaders de la place, puis constituer des groupes de travail pour élaborer une réflexion collective. Nous serons, je l’espère, en mesure de porter utilement nos conclusions à l’attention des autorités publiques. Sur chaque sujet, nous allons étudier les risques, les avantages et les perspectives pour que l’évolution se fasse de manière sécurisée.
Par exemple, le premier sujet que nous avons identifié est celui de la sécurité dans la détention de titres financiers. Cela pose notamment le problème de la relation entre le droit de propriété des valeurs mobilières et leur « réutilisation » par effet de levier dans le jeu des marchés. Hubert de Vauplane, un de nos membres, préside le groupe de travail que nous venons de lancer sur le sujet avec plusieurs membres du Haut comité.

Décideurs. Allez-vous répondre aux acteurs de la place qui se plaignent d’une sur-réglementation ?
M. P.
Nous ne pouvons pas nous soustraire à cette obligation de simplification. Dans le rapport coût/efficacité de la réglementation, elle est un élément central. Dans l’idéal, l’énergie de tous les acteurs serait mieux utilisée si la réglementation se contentait des grands principes. C’est précisément un des rôles du Comité Paris Europlace de se pencher sur les dispositions d’application lorsque la mise en œuvre des règles est problématique. Ce n’est pas le rôle du Haut comité qui doit plus anticiper et inscrire sa réflexion dans une perspective d’évolution européenne et internationale des marchés.
Personnellement, je pense que nous sommes tous collectivement responsables de la crise financière et de la réaction de sur-réglementation qu’elle a provoquée : dans les années précédant la crise, nous n’avons pas su, pas pu ou pas voulu anticiper les risques qui s’accumulaient et nous avons perdu la maîtrise du système. Par exemple, le Forum de la stabilité financière, en soi un progrès remarquable par rapport à l’avant-crise des marchés émergents de 1997, pensait pouvoir attester tous les trois mois de la robustesse des banques. Mais la dérégulation, jointe à la surliquidité, a placé les opérateurs dans une dynamique de compétition, d’externalisation du risque sur les marchés et de course au développement. Le résultat a été un choc sans précédent et un véritable vertige collectif. Les régulateurs ont alors répondu à l’imagination des « ingénieurs financiers » par un arsenal réglementaire d’ailleurs encore inachevé… Tout le monde a sa part de responsabilité dans cette crise !

Décideurs. Le Haut comité est avant tout juridique. Comment intégrez-vous la dimension économique dans vos réflexions ?
M. P.
Nous nous préoccupons du droit qui a une emprise sur le monde des affaires, qui répond aux besoins des entreprises. À la stratégie juridique nous ajoutons une dimension économique et financière. Comme au Royaume-Uni ou aux États-Unis, il faut que les juristes et les économistes travaillent ensemble pour intégrer les deux approches. C’est absolument nécessaire. Nous prévoyons donc de collaborer avec des économistes, particulièrement au sein de nos groupes de travail, même si le Haut comité privilégie nécessairement les experts en droit.

Propos recueillis par Pascale D'Amore

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