Arrivé à la tête de l’école de Jouy-en-Josas en septembre 2015, Peter Todd veut faire figurer HEC dans le classement des dix meilleures écoles de commerce au monde. Conscient que l’éducation est bouleversée par l’innovation, il revient sur la pédagogie et les programmes mis en place par l’École afin d’aider ses étudiants dans le développement et la concrétisation de leurs idées.

Décideurs. Le digital bouleverse les entreprises. Qu’est-ce que cela implique pour les managers de demain ? Trouveront-ils leur place au milieu des ingénieurs et autres data scientists ?

Peter Todd. Le digital provoque un bouleversement dans toutes les organisations. Il introduit de nouvelles façons de concevoir les produits et les services ainsi que d’imaginer leur mise sur le marché. Dans le même temps, le développement très rapide de la data révolutionne désormais tous les écosystèmes. Nous avons aujourd’hui des données sur tout, tout le temps et quasiment en flux continu. Ces données offrent des opportunités incroyables pour mieux comprendre, mieux prédire et donc optimiser la création de valeur et l’innovation.

Ces grandes transformations peuvent déstabiliser beaucoup de dirigeants et de managers, et leur posent un vrai défi. Dans un environnement où les technologies digitales s’accélèrent à un rythme exponentiel, ils doivent trouver les moyens de convertir cette accélération en énergie positive pour leurs équipes et leurs organisations. Les managers jouent donc déjà un rôle fondamental aux côtés des ingénieurs et des data scientists parce qu’ils sont ceux qui transforment les promesses de l’innovation digitale en réalité pour l’entreprise.

« Les managers de demain devront amplifier leur talent digital »

La question des data illustre bien cette situation : il y a d’un côté les compétences pointues des data scientists qui découvrent de nouvelles sources de valeur grâce aux algorithmes, au machine learning ou à l’intelligence artificielle, et de l’autre des managers qui doivent exploiter ces nouveaux gisements et les transformer en valeur ajoutée. On voit progressivement apparaitre aujourd’hui des data managers, qui ne sont pas toujours ingénieurs de formation mais qui comprennent très bien que la data se trouve désormais au cœur de leurs stratégies de développement.

Les managers de demain devront donc amplifier leur talent digital. La transmission de cette compétence est au cœur de la réflexion que nous menons à HEC car nous y voyons une formidable opportunité d’imaginer de nouvelles pédagogies, que ce soit auprès des étudiants de la Grande école, de nos Masters, ou auprès de professionnels venus compléter leur formation. Un exemple concret et très récent de notre volonté de développer cette culture data est le lancement d’un double diplôme en partenariat avec l’École Polytechnique spécifiquement destiné à former des spécialistes du data for business.

 

Est-il possible d'enseigner à innover ou est-ce plutôt un mirage promis par certains consultants ?

Innover peut s’apprendre en créant des contextes favorables à la génération d’idées et à leur mise en œuvre. Cette conviction est d’ailleurs portée par notre devise : « Apprendre à Oser ». Nous apprenons à nos étudiants non seulement à révéler leurs idées, mais surtout à les mettre en pratique. Pour ce faire, nous avons notamment mis en place un partenariat avec l’École 42. Ce dernier vise à constituer des équipes pluridisciplinaires autour de projets qui peuvent souvent se transformer en véritables start-up. Certaines d’entre elles pourront ensuite intégrer notre programme d’incubation hébergé à Station F, le plus grand campus de start-up au monde situé à Paris.

« Innover peut s’apprendre en créant des contextes favorables à la génération d’idées »

À HEC, le corps professoral et l'administration innovent-ils eux-mêmes pour assurer une meilleure pédagogie ?    

Il me semble en effet important de mettre nous-mêmes en pratique ce que nous enseignons.  Les méthodes de learning by doing, de design thinking, de learn, de blended learning ont été très vite adoptées et appliquées à nos enseignements et font désormais partie de notre culture pédagogique partagée.

Cette constante adaptation aux méthodes nouvelles de transmission des savoirs favorise l’émergence de projets pédagogiques innovants. Le meilleur exemple pour illustrer mon propos est le lancement de notre premier diplôme 100% online, le Online Master’s in Innovation and Entrepreneurship. Ce programme est le fruit d’un partenariat avec Coursera, la première plateforme de formation en ligne, et s’adresse à la fois aux managers qui ont l’ambition de développer et piloter l’innovation au sein de leurs organisations, ou à celles et ceux qui ont des projets de création d’entreprise. Pour concevoir ce programme, une vingtaine de professeurs ont été mobilisés et réunis autour d’une infrastructure de conception assez inédite. Il ne s’agissait pas d’importer simplement des cours donnés en présentiel vers une plateforme dématérialisée, mais bien d’imaginer et de créer des contenus totalement nouveaux et adaptés à ce mode d’apprentissage particulier. L’équipe d’enseignants a donc travaillé en étroite collaboration pour maximiser l’intégration des contenus. De nouvelles « fonctions » ont été créées comme celles de professeurs référents ou d’assistants pédagogiques, de coachs d’apprentissage chargés d’assurer un suivi optimal des étudiants et de leur progression.

« Nous apprenons à nos étudiants non seulement à révéler leurs idées, mais surtout à les mettre en pratique »

Afin de poursuivre cette dynamique, j’ai décidé de créer à HEC la fonction de Chief Digital Officer à laquelle j’y ai nommé Robin Ajdari, ancien cadre dirigeant d’Atos. Sa mission est de préparer les prochaines étapes de notre développement et d’accompagner notre transformation digitale, en particulier au regard des évolutions à venir en termes d’IoT (Internet of things), de réalité virtuelle ou augmentée et d’analytique prescriptif. L’idée est de nous préparer au déploiement de programmes encore plus immersifs, encore plus socialement interactifs que ceux que nous développons actuellement.



Quelles sont les nouvelles carrières les plus prisées de vos étudiants ?

Trois grandes tendances se dégagent. Nous constatons tout d’abord une grande aspiration des étudiants pour les métiers de la transformation digitale. Nous observons également un véritable engouement pour la création d’entreprise, avec un quart de nos étudiants qui déclarent avoir un projet entrepreneurial. Enfin, les étudiants souhaitent de plus en plus donner un impact social à leur engagement professionnel et se tournent vers le social business.

 

HEC Paris a créé en 2016 le programme Track Digital Entrepreneur qui permet d’aider des étudiants à lancer une start-up en neuf semaines. Quel bilan en tirez-vous ?

Le premier bilan est très positif. Nous avons réussi à créer un écosystème assez unique en son genre. Le programme est plébiscité par nos étudiants et jouit d’une vraie notoriété : Xavier Niel en a été le parrain en 2016, et cette année, Nathan Blecharczyk, cofondateur d’AirBnb, nous a fait l’honneur de sa présence pour le lancement de la deuxième édition. Un an après son lancement, nous nous réjouissons que treize start-up soient encore en activité sur les trente projets portés par le programme Startup Launchpad. L’une d’elles a même déjà été revendue !

« Treize start-up sont encore en activité sur les 30 projets portés par le programme Startup Launchpad »

Qu’est-ce que le Centre Digital HEC Paris ? En quoi consiste-t-il ?

Le Centre Digital déploie son activité en étroite coordination avec nos deux autres Centres : le Centre d’Entrepreneuriat et le Centre Society and Organizations. Il a été créé en 2016 pour coordonner les initiatives de l’école en matière de formation au digital sous le double prisme de l’entrepreneuriat digital et de la transformation numérique des entreprises. Il a donc vocation à renforcer et à développer les enseignements relatifs au digital au sein de tous les programmes dispensés par HEC. Il a également pour objectif de stimuler la recherche dans un champ encore très récent mais avec un potentiel de découvertes immense, en particulier dans le domaine très prometteur de l’analyse des data.

Le Centre Digital constitue enfin un espace d’échange privilégié au service des entreprises pour approfondir leur réflexion et accompagner leur transformation numérique, tout en leur offrant des opportunités de rencontres et de collaboration avec les étudiants d’HEC. Six grandes entreprises soutiennent déjà le développement du centre : AXA, Orange, Air France, Capgemini, ATOS, et Webhelp.



Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali

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