Le Frenchy a réalisé à Wall Street la quatrième plus grosse IPO de l’histoire de l’Internet. Et avec Lending Club, Renaud Laplanche compte bien transformer le système bancaire américain.
À l’âge de 22 ans, pour gagner trois francs six sous, Renaud Laplanche monte un petit club de finance avec quelques copains de la fac de Montpellier. Parmi eux, Matt Turck. Ensemble, ils co-investissent des sommes modiques en fonction des opportunités financières flairées par l’étudiant en droit. Et ça marche. «?On a fait quelques bons coups?», plaisante celui qui deviendra des années plus tard l’associé du jeune Laplanche dans l’aventure MatchPoint. Ces anecdotiques plus-values préfigurent la capacité de Renaud Laplanche, «?le Frenchy?» comme on l’appelle, à simplifier tout ce qu’il entreprend. Tout ce qu’il touche. Tout ce qu’il vend ou plus exactement prête et emprunte. L’homme d’affaires, devenu le symbole de la réussite française outre-Atlantique, est à la tête d’un patrimoine estimé à plus de 700?millions de dollars selon nos calculs. Quand on lâche le chiffre, il réplique timidement : «?C’est à peu près ça…?» Comme si l’essentiel était ailleurs.

L’essentiel, c’est ce qu’il a bâti en vingt ans en Amérique. D’abord avocat d’affaires à New York au département M&A de Cleary Gottlieb Steen & Hamilton, puis cofondateur de TripleHop Technologies à la fin des années 1990, et aujourd’hui CEO de Lending Club, l’une des plus belles success stories de la tech : Renaud Laplanche a libéré le crédit américain du carcan bancaire en créant un système parallèle. Business angel sporadique, il possède quelques parts dans HomeRun, une place de marché pour le financement des prêts-relais et s’intéresse aussi à l'Internet des objets. Très tôt, Laplanche a mis le doigt dans l’engrenage de l’entrepreneuriat. Le self-made-man est clairvoyant : dès le début des années 1990, il détecte la mine d’or enfouie sous cette Toile qui le fascine. À l’instar de cette Amérique fraîchement démocrate qui trace déjà les contours d’une politique moderne de l’Internet. La publication en 1996 du Clinton Administration’s Telecommunications Act a jeté un pavé dans la mare réglementaire en louant les bienfaits des forces du marché et celles de l’innovation technologique. Une aubaine. Si, comme le rappelle Matt Turck, «?monter une boîte et lever de l’argent était une utopie au début des années 1990?», la frénésie autour de l’Internet a rapidement échauffé les esprits. «?On bossait comme des acharnés jour et nuit dans nos cabinets respectifs et on se retrouvait, tard le soir, pour discuter des opportunités business?», raconte son ancien associé.
Le plus gros de son argent, Laplanche l’a acquis en 2005 en revendant MatchPoint – un moteur de recherche pour professionnels – au géant software californien, Oracle. À l’époque, Laplanche et Turck encaissent chacun une jolie plus-value de dix millions de dollars.

« C’est une machine?»

Et voilà qu’à presque 40 ans, alors qu’il s’octroie une année sabbatique méritée à naviguer et à siroter des cocktails, le Frenchy contracte à nouveau le virus entrepreneurial. Cette fois, il se lance dans une aventure aussi ambitieuse qu’audacieuse : tranformer le système bancaire américain en connectant les particuliers qui épargnent avec ceux qui ont besoin d’argent. Matt Turck, son ancien associé et ami de vingt ans, le résume ainsi «?C’est une machine : il a une idée en tête et il ne s’arrête pas avant d’avoir atteint son but.?» Laplanche est un challenger. Quand on le lui fait remarquer, il confesse en riant avec pudeur : «?Il y a chez moi une véritable attraction naturelle pour tout ce qui est difficile.?» On le croit volontiers sur parole. Si aujourd’hui les professionnels du secteur bancaire ne s’inquiètent pas, le fondateur de Lending Club souffle pourtant la subtile brise du changement là où personne ne l’attendait.

Sur le papier en effet, rien de particulier. Très discret, Renaud Laplanche est avocat de formation, ce qui, selon le managing director de FirstMark Capital, «?n’est pas le meilleur background pour devenir entrepreneur?». Ensuite, c’est un immigré. De surcroît, un Français. Aujourd’hui, rares sont ceux qui se lancent outre-Atlantique sans avoir fondé une solide base arrière en Europe. De là à remettre en cause un pan entier de l’industrie américaine, il y a tout un monde. Ce monde, le Frenchy a choisi de le conquérir seul, sans associé, sans piston et sans avoir de connexion particulière avec les cercles de pouvoir en place à Washington, à New York ou dans la Silicon Valley. «?On oublie à quel point cela a été dur pour lui et pendant très longtemps, confie son ancien associé. C’est grâce à sa seule force de travail qu’il a bâti Lending Club.?» Si en France, la réussite individuelle est encore associée à l’idée d’écraser les autres pour triompher, aux États-Unis elle est plutôt synonyme de création de richesse pour la communauté. «?La définition de la réussite est fondamentalement bonne pour les Américains. Le mythe du mauvais patron qui s’en met plein les poches n’existe pas?», constate Matt Turck. Et voilà, Renaud Laplanche propulsé en tête des archétypes de l’american dream.

Un goût prononcé pour la compétition

Ce n’est que le début, quitter Lending Club pour revenir en France il n’y pense pas. «?Je me sens toujours un peu plus français, mais je suis quand même très américain alors que beaucoup pensent que je suis canadien?», plaisante celui qui a obtenu en janvier dernier la double nationalité. Plus encore, Renaud Laplanche peut se prévaloir d’avoir extrait le meilleur des deux cultures. À 44 ans, l’homme tire de son côté français une étonnante capacité analytique qui fait des merveilles, alliée aux solides raisonnements analogiques typiquement américains. «?Renaud est un homme très délié intellectuellement. J’ai trouvé quelqu’un de très compétent à l’évidence, extrêmement précis mais aussi très simple dans ses rapports à autrui?», décrit Henri de Castries, le P-DG d’Axa.
Entre les lignes se dessine aussi un goût prononcé pour la compétition. Une prédisposition cultivée dès l’enfance. Chaque week-end dans le sud de la France, où la famille Laplanche s’est installée par hasard au début des années 1980, le jeune pré-ado fait de la voile avec son père. Il est l’un des meilleurs de sa catégorie. À deux reprises, il remporte le titre de champion de France sur Laser – ces dériveurs barrés en solitaire – avant d’être pressenti pour représenter le drapeau tricolore aux Jeux olympiques de Barcelone en 1992. Mais le destin l’appelle ailleurs. «?Je suis parti faire un master à HEC puis à la London School of Economics?», se rappelle-t-il. Addict à la performance, ce compétiteur dans l’âme n’a pourtant jamais vraiment raccroché.

Du jamais vu de mémoire de golden boys

Il y a deux ans, alors que Lending Club sort enfin la tête de l’eau et voit poindre le début du succès, il se lance dans la course offshore. Dans sa ligne de mire, la mythique Transpacific Yacht Race qui relie depuis 1906 Los Angeles à Hawaï. En cinq jours et neuf heures, Laplanche se hisse, lui et ses sept coéquipiers, sur la première marche du podium, manquant de battre le record à deux heures près. Quand il évoque cet épisode, pas la moindre trace d’arrogance : «?C’est une aventure incroyable où l’on constate que le corps s’adapte à tout. Nous devions nous relayer toutes les quatre heures sur le pont. Au bout de deux jours, je me réveillais spontanément !?», s’étonne encore celui qui pourrait faire sienne la devise d’Alexandre Ricard : «?Clarity of purpose, speed of action?».

La dernière manœuvre d’envergure qu’il a orchestrée, le 11?décembre 2014, est sans doute la plus prestigieuse : l’introduction de Lending Club sur le New York Stock Exchange (Nyse) avec 870?millions de dollars levés pour une valorisation portée à 5,4?milliards de dollars. «?Un moment extraordinaire?», selon les mots du CEO dont les objectifs financiers initiaux – 180 millions de dollars levés et quatre milliards de dollars de valorisation – ont été pulvérisés. Si le lot de titres devait être mis sur le marché à un prix compris entre dix et douze dollars, près de cinquante-huit millions d’actions ont été placées à quinze dollars. Au cours de la matinée, le titre a connu un pic à 25,44 dollars avant de se stabiliser autour de vingt-trois dollars. Et si l’on se réfère à ce dernier cours, la start-up pèserait aujourd’hui plus de huit milliards de dollars. Pas mal pour une entreprise qui a perdu près de trente-trois millions de dollars en 2014. 

Pourtant, Lending Club n’avait pas nécessairement besoin de capitaux supplémentaires : son cash-flow est positif depuis deux ans. La plate-forme cherchait en revanche à doper sa timide notoriété établie à 5?% aux États-Unis. Renaud Laplanche ne s’en cache pas, il voulait faire de cette IPO un événement médiatique. «?Cela n’arrive qu’une fois dans une vie, alors autant être créatif?», s’amuse le fondateur de la start-up. L’homme veut attirer l’attention des Américains. L’entrée à Wall Street s’est donc faite en fanfare. Le jour J, une mer de blousons rouges estampillés Lending Club a déferlé dans l’enceinte du Big Board – surnom donné au Nyse. À l’extérieur, quinze écrans géants pesant plus de deux tonnes et demie ont été suspendus sur la façade vieille de 250 ans du New York Stock Exchange. En boucle, les photos des emprunteurs, des prêteurs mais aussi des passants défilent en live grâce à l’installation d’un important dispositif de caméras aux abords du «?11 Wall Street?». Une habile façon de rappeler aux Américains qu’ils sont la pierre angulaire de ce nouvel écosystème financier entre particuliers. À l’heure du déjeuner, une foule de curieux se masse devant la Bourse de New York. Du jamais vu de mémoire de golden boys.

« Il travaille en coulisse de façon obsessionnelle?»

Nous avons passé une heure et quart avec Renaud Laplanche et on ne l’a pas senti stressé. Il prend le temps de discuter, se livre volontiers, évoque sa vie de famille, digresse sur la France, énumère avec pudeur ses doutes, tempère ses succès et objecte avec une douce fermeté quelques «?non, je ne peux pas vous répondre?». La petite dizaine de personnes que nous avons interrogées répètent que Laplanche réussit parce que sa force de travail est titanesque et sa discrétion, une religion. Son camarade de promo se souvient de cette nature déjà très secrète : «?Il transmet seulement les informations dont chacun a besoin. Ni plus, ni moins. Si quelqu’un ne fait pas ce qui lui incombe, Renaud prend le relais. Il agit en sous-marin. Il travaille en coulisse de façon obsessionnelle jusqu’à ce qu’il ait trouvé la solution.?» « Il a une facilité à cerner la big picture et a compris l’importance de rester discipliné?», renchérit John Mack, l’ancien patron de la banque Morgan Stanley de 2005 à 2011, qui siège aujourd’hui au board de Lending Club.

Pas de mauvaises habitudes, ni de tics compulsifs. Seulement cette discipline qui flirte parfois avec la névrose reconnaît-il : «?Je suis plutôt maniaque quand il s’agit de la gestion de mon temps.?» Fait avéré. Toutes les dix minutes, un petit carillon interrompt notre discussion pour nous rappeler que notre temps avec Renaud Laplanche est compté. Les journées du CEO sont intenses, son planning rythmé à la seconde près. Tous les matins, il se lève à cinq heures pour arriver entre six heures et six heures trente dans ses bureaux situés à San Francisco dans le South of Market (SoMa), le quartier des start-up technologiques où Twitter, Airbnb et Uber sont installées. Des calls en passant par les meetings, chaque activité est «?timée?» autour de trente minutes. «?Cela me permet d’en faire entre quinze et dix-huit par jour?», se félicite M. Laplanche. L’entrepreneur est un tracker. Son organisation quasi-militaire est l’un de ses nombreux garde-fous. À l’instar de ses fameux reportings mensuels durant lesquels il part à la recherche du temps perdu. «?À la fin du mois, je sais si j’ai passé 20?% de mon temps sur la stratégie de l’entreprise, 30?% à voyager, 15?% sur les produits et 10?% sur les RH. Cette unité de mesure de trente minutes me permet de monitorer mes journées pour être plus efficace.?» Résultat, M. Laplanche est à dix-sept heures tapantes sur le terrain de basket avec son fils de 7 ans. Tous les soirs, il dîne en famille et il est très présent le week-end comme pendant les vacances. Mais attention, il n’est pas de ces entrepreneurs qui ont la bonne idée, placent leurs billes et attendent que les dividendes tombent. Sa boîte, il la contrôle. Matt Turck donne la clé de l’énigme : Laplanche est un entrepreneur mono-focus avant d’être un homme d’affaires. La différence est cruciale. «?Il n’a pas d’activité de business angel et ne multiplie pas les sièges aux boards d’autres entreprises. Il travaille de façon obsessionnelle pour parvenir au but qu’il s’est fixé. Un tel niveau de motivation ne s’invente pas. Ce n’est pas un choix. C’est un ADN.?»

«?Résolu et imperturbable?»

Entrepreneur, c’est un virus. En général, ça vous démange jeune. Pour Laplanche, cela remonte à l’enfance, quand il aidait son père dans l’entreprise familiale : un libre-service d’alimentation. Chaque matin, le gamin se lève avec plaisir à quatre heures et demie pour réceptionner les livraisons et achalander les rayonnages avant l’ouverture du magasin prévue à sept heures trente précises. «?J’ai gardé de cette époque, l’habitude de me lever très tôt?», admet-il. Entrepreneur, c’est avoir un bon jugement, prendre des risques tout en étant cartésien, s’affranchir des codes en vigueur. «?Cela ressemble à Renaud Laplanche?» aux dires de John Mack, banquier d’affaires influent, aka Mack the Knife, maillon important dans le succès de Lending Club, senior advisor du fonds d’investissement KKR et administrateur indépendant au board de l’entreprise de négoce anglo-suisse, Glencore. «?C’est un penseur éclairé qui détecte les bonnes opportunités et qui sait comment les exploiter. Il est résolu et imperturbable?», poursuit-il. En résumé, Renaud Laplanche n’a pas peur. Surtout de se lancer. Il s’est retrouvé sur une scène, un peu par hasard en 1993, pour se voir décerner par l’ancien ministre Maurice Herzog le prix Freshfields du meilleur étudiant juriste d'affaires internationales. Pas peur de l’adversité. Au début des années 2000, il opère un changement de cap dans un contexte économique qui se dégrade après l’éclatement de la bulle Internet et les attentats du World Trade Center, là où sa société TripleHop avait ses bureaux. Le lendemain avec ses équipes saines et sauves, il était de nouveau à la manœuvre. Pas peur non plus de mettre un coup de pied dans la fourmilière en allant planter son drapeau tricolore en plein cœur du système bancaire américain.

Ses origines modestes doublées d’un esprit à la fois créatif et pragmatique font de lui un caméléon capable de naviguer de sphères en sphères. À la Bourse comme en pleine mer. Dans les quartiers de la Silicon Valley comme dans les couloirs de la SEC à Washington. Laplanche s’est rapidement fait un nom. À compter de 2012, à mesure que Lending Club doublait sa taille chaque année, le réseau de son fondateur s’étoffait. D’un simple électron libre, Renaud Laplanche est devenu l’un des noyaux durs de la fintech américaine. «?Il fait partie de la petite trentaine de patrons autour de laquelle l’écosystème gravite?», reconnaît le managing director de FirstMark Capital. S’il possède sa carte du Yacht Club de San Francisco et s’est assuré ses entrées dans l’un des cercles de pouvoir new-yorkais les plus influents au monde, The Links, il est surtout l’un des membres du mythique Young Presidents’ Organization fondé en 1950 par Ray Hickok. Présenté comme une société secrète, ce réseau à la force de frappe insoupçonnée, met en relation plus de 22 000 dirigeants d’entreprise de moins de 45 ans qui s’entraident pour «?devenir un meilleur patron, un meilleur père, un meilleur mari?».

Il a des idées, un réseau et se joue des codes en vigueur

Au fond, aujourd’hui, un entrepreneur doit voir du pays, sortir de sa zone de confort, pour éveiller son esprit et s’autoriser à se jouer des codes en vigueur dans les autres sociétés. C’est un peu évident pour Laplanche qui découvre au printemps 2007 les frais disproportionnés de sa carte de crédit américaine. «?J’ai constaté que le taux d’intérêt était de 18?%, explique-t-il. Ensuite, j’ai ouvert mon relevé de compte épargne sur lequel je gagnais moins de 1?%. Un tel écart trahissait une inefficience du marché.?» L’homme cherche alors un moyen pour réduire cet écart en offrant des taux d’intérêt plus bas aux emprunteurs et des TRI plus importants aux prêteurs.

Derrière la création de Lending Club se cache forcément une philosophie, une volonté de conquête ou peut-être simplement cette envie de prendre aux riches institutions bancaires pour redistribuer aux modestes particuliers. À écouter le fondateur de la start-up, rien de tout cela. Renaud Laplanche n’est pas un gauchiste altermondialiste. Il ne se sent investi d’aucune mission. Ce qui l’a happé, c’est la fée innovation qui «?simplifie la vie des gens et la rend plus agréable grâce à de meilleurs outils?». Laplanche est un simplificateur. D’un coup de baguette magique, il voudrait que les choses aillent vite et soient plus efficaces. Sa femme se moque régulièrement de son mari qui passe en revue toutes les solutions pour optimiser la file des taxis à l’aéroport quand ils partent en vacances. Il confirme : «?J’ai beaucoup d’idées et souvent elles sont mauvaises. Le plus dur, c’est de faire le tri !?»

Pourtant, c’est grâce à sa bonne idée que Renaud Laplanche doit aujourd’hui son dense réseau de relations. Banquiers d’affaires influents, anciens politiciens, investisseurs prestigieux, académiciens de renom, stars de l’Internet… La composition du board de Lending Club laisse rêveur. Mais comment convainc-t-on l’ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton, Larry Summers, ou Mary Meeker, la capital-risqueuse vedette de la tech américaine, de siéger au conseil d’administration d’une start-up qui propose, la fleur au fusil, une alternative à un système bancaire en place depuis la nuit des temps ? «?Il m’a tout simplement demandé, raconte John Mack. Au début, j’ai refusé, mais il s’est montré tellement persuasif qu’à la fin de la journée, je voulais absolument travailler avec lui.?» Il n’est pas le seul. Les grands fonds d’investissement ont aussi flairé la belle affaire. Une petite dizaine a d’ailleurs injecté près de 400?millions de dollars depuis la création de l’entreprise. Aujourd’hui, la plupart peuvent se féliciter d’avoir cru en M. Laplanche : de Norwest Venture Partners, Canaan Partners, Morgenthaler Venture Partners à Bay Partners en passant par Foundation Capital, Union Square Ventures, Kleiner Perkins Caufield & Byers, Blackrock ou T. Rowe Price, sans oublier Google qui a versé au pot pas moins de 125?millions de dollars (7?% du capital) suivi, six mois plus tard, du milliardaire russe Yuri Milner (DST Global) qui a également placé des billes dans Airbnb, Facebook et Twitter. Selon la date à laquelle ils sont entrés au capital, ces fonds ont empoché suite à l’IPO entre dix-sept fois et cinquante-cinq fois leur mise. Jolie plus-value.

Les doutes, le stress, l’épuisement

Né en 2006, Lending Club a pourtant bien failli péricliter. Un an après sa création, Renaud Laplanche a été contraint de fermer boutique en attendant l’aval de la Securities Exchange Commission. Finalement autorisée, la start-up fait son retour sur un marché financier dévasté par la crise financière de 2008. Des doutes, Renaud Laplanche en a eu. Surtout les trois premières années, où ils ne l’ont pas quitté. Et si aujourd’hui, il reconnaît volontiers que c’est «?le dénominateur commun à toutes les entreprises innovantes et disruptives?», son entourage évoque «?un homme stressé et épuisé?». Car historiquement, le marché du crédit américain est viscéralement contrôlé par les banques. «?Si j’ai été séduite par l’opportunité qui existait sur le marché, j’ai surtout été très impressionnée de voir Renaud à l’œuvre trimestre après trimestre. Progressivement, j’ai vu naître ce que l’équipe avait dans l’idée de construire?», se souvient Mary Meeker qui a rencontré le fondateur de Lending Club en 2011.

Dans l’univers impitoyable des services financiers, pour mettre en relation des particuliers qui épargnent avec ceux qui ont besoin d'argent, il faut un certain track record comme l’explique M. Laplanche : «?Il fallait convaincre les prêteurs de faire un investissement de trois à cinq ans dans une société créée il y a six mois et qui ne possédait aucun bilan de performance.?» Pari osé. D’autant plus que l’économie collaborative, le financement non bancaire et la fintech en sont encore à leurs balbutiements. Habitué à ramer à contre-courant, Renaud Laplanche n’en démord pas. Il veut faire de Lending Club le porte-étendard de l’alternative bancaire pour rendre plus efficient un actif économique sous-utilisé. Et pour cela, il a sa méthode bien à lui : trier les équipes sur le volet et miser sur une préparation minutieuse pour minimiser la part d’imprévu. «?Renaud est très concentré et circonspect, à l’image du très bon navigateur qu’il est. Comme lors d’une course en mer où il cerne les chemins requis pour atteindre la ligne d’arrivée, il a très vite compris les enjeux du marché du crédit et a pu se figurer le rôle que devait jouer Lending Club?», constate Mary Meeker, partner chez Kleiner Perkins Caufield & Byers.

Préparé, il l’était quand il a rencontré en 2008 les autorités américaines de régulation et les banques pour les convaincre de la pertinence de son modèle de peer-to-peer lending. Son coup de génie : passer par des relations de confiance préexistantes comme le cabinet d’avocats Wilmer Cutler Pickering Hale & Dorr dont la plupart des associés sont d’anciens régulateurs qui connaissent très bien ceux en place à Washington. Même maillage pragmatique pour la constitution de ses équipes. L’entrepreneur s’est naturellement adressé à d’anciens banquiers de Bank of America, Chase Bank ou encore Citibank. Objectif : convaincre des experts du système bancaire, fins connaisseurs des rouages existants. Plus facile à dire qu’à faire, surtout en pleine crise financière. «?99?% d’entre eux avaient la même réaction : "Ça ne marchera jamais !"?», se souvient Renaud Laplanche qui a récemment fêté l’arrivée de son millième collaborateur.

« Winner takes all?»

Début 2010, comme un pied de nez au destin, Lending Club passe le cap des cent millions de dollars prêtés avant d’atteindre le milliard deux ans plus tard. La croissance est fulgurante. «?Depuis trois ans, nous doublons de taille chaque année?», confirme le fondateur. Au 31 décembre 2014, la plate-forme avait cumulé plus de 7,6?milliards de dollars de prêts, dont 4,3?milliards de dollars rien que cette année-là, soit une progression de 112?%. Nul doute que Lending Club a profité de la prime au premier arrivant. Dans la droite ligne d’Ebay, la start-up pourrait être, selon l’expression consacrée, le «?winner takes all?». La distance entre la plate-forme fondée par le Frenchy et celles des concurrents a en effet augmenté chaque trimestre au cours des trois dernières années. Le challenger est aujourd’hui cinq fois plus petit. Au point que les concurrents – Can Capital, On Deck Capital, Prosper, Sofi – seraient sur le point pour certains de lancer une IPO pour tenter de raccrocher les wagons. «?Il est sur la même trajectoire de réussite qu’un Google ou un Facebook?», affirme Matt Turck. «?Son modèle est en train de bouleverser la manière de financer les prêts?», ajoute John Mack.

Même si Laplanche n’a pas souhaité donner de guidance sur les segments des prochains produits que Lending Club lancera, l’homme ne cache pas ses ambitions. L’entrepreneur veut offrir toute la gamme de produits de crédit aux Américains et aux entreprises. «?L’idée, c’est d'être de plus en plus utile à un nombre croissant de personnes, martèle le fondateur. Et pour cela, il faut avoir dans notre portefeuille tous les prêts dont pourraient avoir besoin nos clients.?» Résultat, il y a un an, Lending Club a acquis pour 140?millions de dollars la société Springstone Financial, spécialisée dans les prêts étudiants et de santé. Et ce n’est que le début. Car Lending Club a désormais un impact significatif sur la vie des entreprises et surtout des ménages américains, particulièrement ceux, déjà endettés, qui doivent rembourser des crédits modestes à des taux pouvant dépasser 20?%. Ils représentent plus de 80?% des prêts accordés sur le site. Techniquement, la plate-forme permet aux particuliers d'emprunter jusqu'à 35 000?dollars – remboursables sur deux, trois ou cinq ans – à des taux d’intérêt oscillant entre 5,49?% et 26,06?%. Lending Club se rémunère en prélevant entre 1,11?% et 5?% de la somme prêtée en fonction de la capacité de remboursement de l'emprunteur. Des frais sont également imposés aux prêteurs (1?% sur chaque paiement reçu auquel s’ajoutent les frais de recouvrement en cas de défaut de l’emprunteur) dont le taux de retour sur investissement se situe entre 4,74?% et 7,56?%. Plus de 595?millions de dollars d’intérêts ont à ce jour été perçus par les quelque 80 000 investisseurs qui ont investi sur la plate-forme.

Google, Alibaba…

Si l’horizon semble tout tracé, il est surtout dégagé grâce à un cadre réglementaire très stable, inchangé depuis sept ans. Au début, la start-up se concentrait sur le rachat de prêts existants. Elle a ensuite étendu son action au crédit à la consommation, avant d’ouvrir en mars?2014 son offre aux petites entreprises qui peuvent emprunter jusqu’à 300 000?dollars à un taux d’intérêt allant de 5,9?% à 29,9?%. De quoi mettre la puce à l’oreille de certains géants soucieux de doper la croissance de leur vivier de partenaires. Google en chef de file.

Début 2015, le géant américain a mis en place avec Lending Club un programme facilitant l’accès au crédit pour ses 10 000 revendeurs et consultants qui distribuent ses outils professionnels. Sur deux ans, ils pourront obtenir jusqu’à 600 000?dollars de prêt pour financer des investissements de croissance. Judicieux car la firme de Mountain View accélère ainsi l’expansion de son réseau. Mieux encore : elle est habilitée à racheter les prêts. «?Google tire des rendements en investissant dans la croissance de ses propres partenaires?», explique Renaud Laplanche, qui n’a pas attendu un mois avant de conclure un second accord stratégique avec le mastodonte de l’e-commerce chinois, Alibaba. «?Il cherchait un partenaire américain qui soit technology enable, flexible et réactif sur la mise en place d’un programme?», raconte le CEO du leader du peer-to-peer lending. Mise en concurrence avec quatre sociétés, Lending Club a été choisie en lieu et place de Bank of China pour aider les entreprises américaines qui auraient besoin d’un crédit pour acheter des produits sur le site chinois. Baptisé «?Alibaba.com e-Credit Line powered by Lending Club?», le nouveau service accorde des prêts à court terme (six mois) allant de 5 000?à 300 000 dollars pour un taux d’intérêt compris entre 0,5?% et 2,4?%. Avec ce type de programme, les deux entreprises ont le souci commun d’utiliser la technologie pour enlever des points de friction, simplifier les choses et rendre les programmes plus efficients. Et quand on interroge Renaud Laplanche sur ses relations avec Jack Ma, il répond : «?Il est très créatif. On s’est très rapidement rendu compte que nous avions des cultures très similaires.?»

John Mack le compare à Jeff Bezos

Et parmi les grands patrons français ? Le P-DG d'Axa est un des rares à avoir approché le très discret roi français de la tech américaine. C'est en Californie, sur le campus de Stanford qu'Henri de Castries s'est entretenu une bonne heure avec l’entrepreneur. L'homme d'affaires français dont l’entreprise est cotée au CAC 40 ne tarit pas d’éloge, «?C’était absolument passionnant. Sa réussite est remarquable : Lending Club est un bel exemple de ce que les nouvelles technologies permettent de réinventer dans les business models classiques.?»
Quand on se retourne sur le parcours de Renaud Laplanche, réinventer semble être un mantra. À l’instar d’un Jeff Bezos auquel John Mack le compare ou d’un Xavier Niel qu’il confie admirer. Avec le patron de Free, le Frenchy partage ce souci du renouvellement des élites. En coulisse, son nouveau cheval de bataille, c’est l’éducation. Le patron investit une part croissante de sa fortune personnelle et de son temps dans l’association Citizen Schools dont la vocation est de «?combler l’opportunity gap?» creusé entre les enfants issus de milieux défavorisés et ceux nés dans des familles plus aisées. Dans les prochaines semaines, le prêteur alternatif devrait d’ailleurs officialiser un partenariat entre sa start-up et Citizen Schools qui vient de fêter ses vingt ans. Objectif : «?Subventionner un cursus d’éducation financière pour apprendre aux enfants à épargner et à ne pas dépenser plus d’argent qu’ils n’en reçoivent.?» Encore une fois, Renaud Laplanche œuvre en coulisse et trace le chemin de ce qui se jouera demain dans une société américaine où la dette des ménages américains représente 80?% du PIB.

Et quand, une fois par an, son chemin prend la direction de la France, il ne se jette pas sur un camembert ou sur un pain au chocolat. Il retrouve surtout avec plaisir la lumière du Sud de son enfance qui est «?peut-être différente à cause de l’angle du soleil?», remarque-t-il. Car c’est bien cela dont il est finalement question avec Renaud Laplanche : bien cerner l’angle pour mieux éclairer.


Émilie Vidaud

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