Faire du bois un matériau de construction visionnaire et repousser ses limites, tel était le défi de l'architecte Timothée Boitouzet. Pari réussi, son bois translucide, issu de bois de mauvaise qualité, non employé dans la construction est aujourd’hui performant et Timothée Boitouzet lance sa start-up pour le commercialiser. Rencontre.

Décideurs.  Avec des appels à projets et des opérations d'envergure, on note un intérêt certain pour le matériau bois en France, pays traditionnellement attaché au béton. Quelle est votre vision de la filière ?

Timothée Boitouzet. J'ai étudié et travaillé dans plusieurs pays où la filière bois est très développée : le Japon, les États-Unis, le Danemark et la Suisse. La France a un potentiel gigantesque car elle est le second pays producteur de bois en Europe, alors que sa balance commerciale est déficitaire de 5,8 milliards d'euros en 2015. En d'autres termes, nous sommes assis sur des ressources forestières fantastiques et sous-exploitées. Le bois de chauffage se développe en France, mais sur le plan écologique, le bois utilisé à des fins énergétiques doit être la dernière piste de valorisation possible car celui-ci rejette tout le CO2 accumulé durant sa croissance. Nous devons valoriser le bois français à l'export. Pour cela la filière bois a besoin d'être revitalisée par l'innovation, et structurée par des dispositifs étatiques car elle manque aujourd'hui de synergies pour être compétitive à l'international.  

Nous sommes assis sur des ressources forestières fantastiques et sous-exploitées

Est-ce que l'économie circulaire a joué une influence dans l'élaboration de votre bois translucide ? De manière générale, quelles ont été vos sources d'inspiration ?  

Oui, l'économie circulaire est une source d’inspiration  depuis que j'ai commencé mes études à Harvard. La règle d’or de Lavoisier « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » fait état de ce principe. Mais cette évidence du XVIIIe siècle est de moins en moins vraie aujourd'hui avec des déchets de l'industrie qui peuvent prendre des décennies, voire des siècles à disparaître. Mon travail s'est ainsi concentré sur la transformation du bois et la valorisation de tous ses constituants sur la logique de Lavoisier quelque peu modifiée : « rien ne se perd, tout se crée, tout se transforme ». La conception japonaise a joué un rôle dans cette prise de conscience car dans la culture de ce pays, rien n'est fait pour durer pour l'éternité et tout est en perpétuelle redéfinition, en phase avec les règles de la nature. La notion d'éphémère, d'environnement, et de flux du matériel à l’immatériel sont des conceptions centrales au Japon. Les États-Unis m'ont permis d'intégrer l'outil technologique dans ma recherche pour venir servir les enjeux du XXIe siècle.

Le bois est un matériau de prédilection mais il ne peut remplir tous les besoins

Si la ville de demain est faite de bois, quelles seront pour vous les premières étapes de cette transformation ?

La ville de demain ne sera pas soudainement tout en bois. Vont se côtoyer des structures mixtes bois-béton, bois-acier, bois brut-bois augmenté. Le bois est un matériau de prédilection mais il ne peut remplir tous les besoins. Les autres matériaux ont évidemment aussi un rôle à jouer. Il doit aussi  être utilisé en phase avec une bonne gestion des ressources forestières. Qu’il s’agisse du logement, du bureau, des infrastructures ou des aménagements urbains, l’utilisation du bois se fera graduellement, en phase avec les règlementations et l'évolution de la culture constructive du secteur, notamment des grands groupes de la construction.

Comment expliquez-vous que des secteurs aussi divers que la construction, le luxe ou l'aéronautique soient intéressés par votre invention ? 

Notre innovation a la faculté assez inédite de se développer sur deux axes majeurs qui se rejoignent rarement dans le secteur de l'innovation : l'esthétisme et la performance. Certains viennent nous chercher pour l'aspect inédit et quasi « magique » du matériau translucide, d'autant plus troublant que le bois est le matériau le plus ancestral de l'histoire humaine.  Nous sommes également sollicités pour son utilisation dans des secteurs où la performance est recherchée sans nécessairement mettre en avant les qualités visibles. Il est à noter que les applications dans le secteur du luxe, du mobilier et du design constitueront nos applications premières avant de nous développer sur des marchés plus complexes.

Propos recueillis par Laetitia Sellam
@Klaetitias
 

 

 

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