Le fondateur d'Augusta revient sur les défis clés de cette transformation.
Décideurs. L'écosystème du marketing digital fait face à de fortes turbulences. Comment évolue-t-il?
Vincent Luciani.
Le marché est en train de connaître sa plus grande révolution : nous assistons à un renversement de la chaîne de valeur établie, celle d’un marché très intermédié, avec une place centrale prise par des agences – qu’elles soient digitales ou pluri-média. Aujourd’hui beaucoup d’annonceurs reprennent en main leur stratégie digitale et s’interrogent sur la pertinence de leurs investissements.

Décideurs. Comment expliquez-vous cette reprise en main par les annonceurs ?
V. L.
Le contexte économique a été un premier déclencheur de la fin de « l’âge d'or » du digital, entré dans une phase de rationalisation à marche forcée. Le deuxième élément clé est l'apparition sur le marché de nombreux fournisseurs de technologies, qui viennent s’adresser aux annonceurs en direct. Avec leurs solutions simples à prendre en main, ils brisent peu à peu le système de prescripteurs traditionnels porté jusque-là par les agences médias. Enfin, les annonceurs ont pris conscience de la valeur des données générées par leur activité et ont amorcé un fort mouvement de reprise en main de cette richesse. En plus des potentiels inédits en matière de relation client, il se développe un sentiment de propriété tel que les annonceurs deviennent plus méfiants à l’égard des tiers : agences, fournisseurs de technologies, etc.

Décideurs. Comment les investissements de marketing sont-ils rationalisés ?
V. L.
Les annonceurs cherchent à la fois à mieux comprendre la performance générée par leurs investissements et à simplifier, uniformiser l'ensemble des dispositifs autour de celle-ci: le nombre d'acteurs impliqués, les outils utilisés, etc. Le manque de transparence est parfois total pour le dirigeant. Le défi est encore plus grand pour les groupes internationaux à la recherche de lisibilité sur des ensembles plus larges, impliquant les spécificités de chaque pays, la maturité de chaque marché.

Décideurs. Les directeurs marketing sont-ils les mieux placés pour comprendre leurs consommateurs ?
V. L.
Oui s’ils passent par une réflexion sur les chantiers essentiels: la gestion de la donnée, la mise en place d’un parcours client homogène et de façon plus générale, des bons choix technologiques mis au service de cette stratégie client. C'est souvent ce dernier point qui est le plus délicat. La définition d’une stratégie, le choix d’outils et l’organisation sont des étapes nouvelles pour beaucoup d'annonceurs, signe sans doute que jusque-là le digital était encore considéré comme un sujet annexe au marketing traditionnel.

Décideurs. Quels sont les différents défis que vont rencontrer les dirigeants ?
V. L.
La plupart des dirigeants et CMO font face à des défis de taille autour de ces problématiques. Nous en avons recensé quatre, au premier rang desquels figure l’obscurité de l’écosystème des partenaires: de nombreux acteurs se réclament aujourd'hui de l’univers du « data marketing », mais il est très difficile de discerner le vrai du faux et de choisir les partenaires et les outils les plus adaptés. Par ailleurs la plupart des acteurs ont différentes activités, et leur recommandation comporte des biais - conseil et média, technologie et conseil, etc.

Décideurs. La reprise en main du marketing doit-elle nécessairement s’accompagner d’une reprise en main des données ?
V. L.
C’est un autre grand défi pour la direction marketing, car ces données sont dispersées, souvent éclatées au sein même des entreprises - CRM / Web, données exogènes - ou des partenaires. Il est assez étonnant de voir que la majorité des annonceurs ne possèdent pas encore de contrat en direct pour leur ad server ou leur bid tool search... Laissés au choix des agences, ces annonceurs n’ont pas d’accès direct à ce qui est pourtant le juge de paix de leur performance digitale, la pierre angulaire de la stratégie d’audience.

Décideurs. Par où les entreprises devraient-elles commencer ?
V. L.
Par la définition des cas d’usage. Dans les quelques entreprises où existent ces réflexions autour de la data et du marketing digital, les outils semblent être le point de départ alors que la vision d’ensemble devrait prendre le dessus sur l’équipement. Certaines entreprises collectent même des données depuis quelques années sans vraiment savoir ce qu’elles comptent ou peuvent en faire. Il faut travailler en amont sur l’utilité que l’entreprise tirera de cette donnée, tant du point de vue de la performance - retargeting, qui représente encore 80% des opérations faites sur le RTB - que d’un point de vue branding ou métier. C’est la clé avant même de commencer à parler de technologies.

Décideurs. Quelle est la place des SI dans ce chantier ?
V. L.
Les DSI revendiquent de façon légitime une clarté à moyen terme dans l’expression du besoin SI, alors que le CMO qui souhaite tester rapidement des solutions nouvelles et flexibles dans l’optique d’améliorer la vente et la relation client. C’est un challenge important que de rapprocher ces organisations qui ne parlent pas le même langage. Au-delà de l’organisation en tant que telle, nous constatons de grosses lacunes en capital humain – les besoins sont très importants en BI, data scientists, et en statisticiens, des métiers qui devront apprendre à travailler ensemble. Ces sujets sont nouveaux, il faudra du temps pour construire les expertises.

Propos recueillis par Pierre-Henri Kuhn

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