Directrice executive en charge de la direction fonds propres PME au sein de BPIFfrance, Fanny Letier œuvre depuis quatre ans à « réveiller » les PME. Objectif : les emmener à franchir le cap de l’ETI en les incitant à ouvrir leur capital et à accepter un accompagnement adapté. Rencontre avec une femme autant de terrain que visionnaire.

 

Décideurs. Il y a quatre ans, vous décidiez de quitter le Ciri (Comité interministériel de restructuration industrielle) pour la BPI. Pourquoi ?

Fanny Letier. Parce que je voulais passer du défensif à l’offensif. Au Ciri, j’avais vu les secteurs souffrant d’un manque de compétitivité, identifié les facteurs de faiblesse expliquant qu’une entreprise voie son chiffre d’affaires stagner ou son développement à l’international échouer.  Je voulais être dans l’opérationnel et agir en faveur de la croissance des PME. Cela représente un enjeu majeur pour notre économie. Entre 2009 et 2015, les grands groupes ont supprimé 90 000 emplois. Sur cette même période, les ETI en ont créé 120 000. Le constat est donc simple : il nous faut plus d’ETI ; de ces entreprises de plus de 50 millions de chiffre d’affaires qui ne sont que 3 000 en France et deux fois plus en Allemagne. Pour cela, il faut réveiller nos PME, leur redonner l’ambition de la croissance, organique ou externe.

Quels freins s’opposent à l’heure actuelle à la transformation de certaines de nos PME en ETI ?

Il y a d’abord leur réticence à ouvrir leur capital. Sur les 137 000 PME que compte la France aujourd’hui, seules 4 000 ont ouvert leur capital à des fonds, ce qui représente pourtant un facteur de longévité et de partage de risque incontestable. Il y a donc un important travail de pédagogie à entreprendre auprès des dirigeants d’entreprise pour les emmener à vaincre leurs réticences sur ce sujet. À cela s’ajoute la question de leur capacité à créer de la valeur économique alors qu’ils manquent souvent de recul sur le potentiel de croissance de leur entreprise.

Comment les aider à surmonter ces obstacles ?  

Tout d’abord en leur proposant une offre d’accompagnement. On sait que, d’une manière générale, les dirigeants de PME détestent les sociétés de conseil qu’ils trouvent pontifiantes et peu opérationnelles. Pour dépasser cette perception et leur permettre de bénéficier d’un accompagnement adapté, j’ai créé en 2014 un pôle conseil et accompagnement autour de modules dédiés à des thématiques clés – optimisation de la gestion du cash, digital, lean facturing, management… – lesquels ont été confiés à 110 acteurs privés accrédités par BPIFrance pour leur expertise, bien sûr, mais également pour leur capacité à incarner les valeurs de proximité, de simplicité et d’optimisme qui sont les nôtres. En 2016, j’ai ainsi pu déployer 200 missions de conseil auprès de PME dont, par la suite, 85 % ont fait de la croissance externe.

Et en ce qui concerne l’ouverture de leur capital ?

C’est là l’autre levier de croissance stratégique pour les PME. Celles-ci doivent accepter d’ouvrir leur capital à des fonds qui, selon moi, doivent être, plus que de simples investisseurs, des fonds d’accélération mixant le private equity et le conseil. Aujourd’hui les investisseurs doivent être créateurs de valeur : ils doivent aider le dirigeant dans l’anticipation du « coup d’après », la prise de recul, le benchmark, la mise en relation… Ce sont des gens d’expérience, ils se doivent d’aider les dirigeants à actionner l’ensemble des accélérateurs de croissance à leur disposition.

Comment s’organisent le pôle « fonds » de la BPI ?

Pour l’heure je supervise 21 fonds parmi lesquels une dizaine a été créée au cours des cinq dernières années. Cela représente près de 500 participations. Nous avons créé des fonds généralistes régionalisés mais également des fonds sectoriels tels que bois, nucléaire, rail, industries créatives, transition énergétique, etc., qui s'inscrivent dans l'évolution du métier des small-caps et sont pro-actifs en matière d'accompagnement. Pour être créateur de valeur, il est primordial de connaître le business, les technologies, et d'être capables d’offrir aux PME une expertise sectorielle pointue en même temps qu’une proximité passant par une bonne connaissance de leur écosystème local : banques, partenaires…

En mars 2015 vous avez créé un accélérateur de croissance des PME ; en quoi consiste ce dispositif ?

Il s’agit d’un programme d’accompagnement sur 24 mois visant à mener une action plus structurelle auprès de « générations » de PME que nous cherchons à emmener à la taille ETI. Il commence par un premier diagnostic à 360 ° de l’entreprise de manière à identifier ses forces et faiblesses puis mixe, durant deux ans, formations – beaucoup de dirigeants de PME sont autodidactes et désireux de travailler leur marque employeur, leur gouvernance, etc. –, suivis des missions de conseils et mises en relation visant à accélérer la création de filiales, le développement de l’activité à l’international, etc. Ce programme est organisé sur un mode « executive MBA », en partenariat avec des business schools et des acteurs tels que le réseau Entreprendre, l’incubateur School Lab… L’idée étant, sur cette période, d’emmener l’entreprise à actionner un maximum de leviers de croissance.

Peut-on déjà mesurer les effets de ce programme ?

La première promotion s’est achevée en mars dernier et les résultats sont extrêmement prometteurs : les effectifs des entreprises y ayant participé ont progressé en moyenne de 20 % et le CA de 22 %, les deux tiers ont fait évoluer leur gouvernance et vingt sont devenues des ETI. C’est un début. Maintenant, nous allons suivre ces entreprises dans le temps avec un programme alumni.

Qu’en est-il des ETI ? Leur offrez-vous le même type d’aide au développement ?

Nous avons effectivement créé un programme dédié aux entreprises de 50 à 300 millions de chiffre d’affaires : un accélérateur d’ETI conçu sur le même modèle que celui mis en place pour les PME. La première promotion a été lancée en avril 2016 et compte 25 entreprises. Chacune s’est vue attribuer quatre administrateurs indépendants qui l’accompagnent pendant deux ans ainsi qu’un mentor : le dirigeant d’une grande entreprise disposé à partager conseils et expérience.  Les premiers retours sont extrêmement positifs : les dirigeants des ETI concernées sont heureux d’être sortis de leur solitude. Notre objectif est que, d’ici 2020, 2 000 entreprises soient passées par un accélérateur PME ou ETI. Ce qui devrait quasiment permettre de doubler le nombre d’ETI en France.

Propos recueillis par Caroline Castets

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