Par Jean-Marie Valentin Avocat, associé gérant du cabinet Sekri Valentin Zerrouk
 Le décret n°2014-1254 du 28 octobre 2014 vient préciser les conditions dans lesquelles les entreprises de moins de 250 salariés doivent informer les salariés de tout projet de cession de contrôle ou de fonds de commerce afin que chacun d’entre eux puisse s’en porter acquéreur. Cette obligation résulte de la loi dite « Hamon » du 31 juillet 2014.
Le « guide pratique » émis concomitamment par les services de Bercy et dont la portée juridique nous semble incertaine vient tuer le dispositif. 
Explications.

Le décret susvisé qui court sur une page et demi n’apporte que peu de précisions.
L’obligation d’information est applicable aux cessions conclues à compter du 1er novembre 2014 à l’exclusion de celles qui résulteront de la mise en œuvre d’un contrat de négociation exclusive conclu avant le 1er novembre 2014.
Lorsque la société est dotée d’un comité d’entreprise, l’information des salariés doit intervenir au plus tard en même temps que l’information et la consultation de ce comité par application de l’article L2323-19 du code du travail.
En l’absence de comité d’entreprise et de délégué du personnel, l’information doit intervenir au plus tard deux mois avant la cession.
L’information peut intervenir par tout moyen de nature à rendre certaine la date de sa réception par les salariés. Le décret donne quelques exemples : réunion d’information avec émargement, affichage, courrier électronique, remise en main propre, lettre recommandée, etc.
La loi prévoit d’ores et déjà que le salarié intéressé peut se faire assister par « toute personne » qu’il désigne, sans autre qualité requise.
Bien entendu le salarié comme la personne qui l’assiste sont tenus d’une obligation de confidentialité et de discrétion « dans les mêmes conditions que celles prévues pour les membres du comité d’entreprise ».
Rappelons que le non-respect de cette obligation est sanctionné par la nullité de la vente intervenue en faveur d’un tiers. Celle-ci pouvant être demandée par tout salarié (c’est-à-dire même ceux n’ayant pas participé à l’offre.)
Le décret ne donne en revanche aucune précision sur la nature et la qualité des informations communiquées. Le texte semble néanmoins en préciser la portée puisque cette information aux salariés doit être faite « afin de leur permettre de présenter une offre de rachat ». Il ne s’agirait donc pas d’informer simplement les salariés d’une volonté abstraite de vendre, mais bien de leur donner une information circonstanciée sur l’entreprise elle-même de nature à leur permettre de faire une offre. Dans ces conditions, nous pouvons penser que l’information transmise aux salariés devra être de même nature et de même qualité que celle offerte aux candidats extérieurs à l’entreprise. Ne serait-ce que dans un souci de loyauté et d’égalité des chances entre les candidats.
On connait l’émotion suscitée à juste titre par ce projet au sein des organisations patronales et des acteurs des fusions et acquisitions.
En dépit de notre conviction profonde - acquise dans le cadre des opérations que nous avons menées - de l’utilité d’associer plus étroitement et plus systématiquement les salariés aux défis de leurs entreprises, cette réglementation nous parait en effet inadaptée et dangereuse, tant pour l’entreprise que pour les instances représentatives du personnel elles-mêmes.

La réponse du gouvernement ne s’est pas fait attendre, ce qui sera salué.
Malheureusement, cette réponse est intervenue non pas par le retrait pur et simple du dispositif mais par l’émission d’un « guide pratique » qui en retire toute portée pour n’en laisser qu’une procédure inutile, consommatrice de temps et d’énergie pour l’ensemble des parties prenantes et non dépourvue de risques.
Si le décret est particulièrement succinct, le guide, lui court sur 12 pages et apporte de nombreuses précisions. Il confirme que cette obligation d’information est applicable dans la plupart des cas, y compris dans le cadre d’opérations intragroupes. Elle s’applique même en présence de droit d’agrément, de préférence, ou de préemption. Elle s’applique encore en cas d’apport, d’échange ou de dation, de transfert fiduciaire, etc. Elle ne s’applique pas en revanche, au transfert effectué dans le cadre d’une transmission universelle de patrimoine, d’une cession à un conjoint ou intervenant dans le cadre d’une succession ou de la liquidation d’un régime matrimonial. Difficile d’y discerner une logique quelconque.
Une fois ceci posé, le guide donne deux précisions fondamentales. D’une part, il nous apprend que l’information et sur laquelle le décret est resté muet réside uniquement dans l’expression de la volonté de céder l’entreprise ou le fonds de commerce. Il précise « la loi n’impose la transmission d’aucune autre information et d’aucun document relatif au fonctionnement, à la comptabilité ou à la stratégie de l’entreprise ». Le guide va jusqu’à proposer des modèles de texte où effectivement l’information est dépourvue de toute portée réelle.
Cette réponse, aussi confortable qu’elle puisse paraitre, nous semble juridiquement très fragile. Rappelons en effet que le législateur a confié au juge le soin de « juger » de la qualité de l’information transmise. La nullité pouvant être prononcée en cas d’absence d’information et d’information partielle. Il est permis de douter que le juge consulaire qui sait ce qu’implique l’émission d’une offre ferme en termes d’analyse, d’investissements, de temps passé, se satisfera d’une information strictement formelle proposée par un guide dont la portée juridique est, pour ainsi dire, nulle.
D’autre part, le guide répond à la question cruciale « que faire en cas d’offre présentée par un ou plusieurs salariés ? ». La réponse est cinglante : « le cédant est totalement libre de choisir s’il souhaite ou non entrer en négociation (…) ». « Il n’a aucune obligation de transmettre des informations (…) ». « Le cédant n’a aucune obligation à l’égard d’une offre présentée par les salariés (qui ne revêt pas de caractère prioritaire) : le refus du cédant d’étudier ou d’accepter une offre n’a pas à être motivé ». « Le cédant peut ne pas répondre s’il le souhaite ». On confine presque à la muflerie.
Là encore, il est permis de douter que le juge consulaire écarte de son analyse les critères de loyauté, de bonne foi, de rupture abusive ou non des pourparlers, ou encore d’égalité de traitement des candidats repreneurs qui généralement sont appliqués à ce genre d’exercices.
En d’autre termes, si l’information est vide et que l’employeur n’est même pas tenu d’accuser réception des offres des salariés, la seule question à laquelle le guide ne répond pas est « à quoi tout cela sert-il ? »
Cette question est d’autant plus légitime que ce dispositif (comme celui de la loi Florange) pose un problème fondamental non résolu par le « guide pratique ».
En effet, si aux termes du préambule de la Constitution « tout travailleur participe, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises », ce droit constitutionnel s’exerce « par l’intermédiaire de ses délégués », c’est-à-dire par l’intermédiaire des instances représentatives.
En l’espèce, le droit de « faire une offre » ou d’y renoncer n’est pas reconnu à ces instances, mais bien à chaque salarié individuellement. Cette obligation s’impose donc à l’employeur comme aux instances représentatives qui le moment venu, devront également être consultées sur les offres émises par ces salariés. Certaines pourront être soutenues par telle organisation syndicale, certaines par d’autres, certaines encore par aucune. Là où notre expérience nous a appris l’importance de la cohésion et de la solidarité des salariés et de leurs représentants pour faire face utilement aux défis de leur entreprise, le législateur a introduit un ferment de division et de tension inutile. D’autant plus que l’employeur reste in fine maitre du choix du repreneur. D’où la question suivante : A quoi ressemblera le climat social d’une petite entreprise où trois salariés auront fait chacun une offre concurrente soutenue de manière différente par les instances représentatives et toutes rejetées par l’employeur au profit d’un repreneur tiers sans autre forme d’explication ? A un champ de ruine. C’est de notre point de vue le principal problème de ce dispositif et cela serait une erreur, tant pour l’employeur que pour les organisations syndicales de le sous-estimer.

En conclusion, il serait opportun de revenir purement et simplement sur ce dispositif légal dans le cadre de la simplification et de renvoyer cette question légitime de l’association des salariés aux défis de leur entreprise, à la négociation en cours sur la Modernisation du dialogue social.

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