À la tête de Creative Value, un cabinet de recrutement au service exclusif des fonds dans la mise en place de managers investisseurs, Michel David a développé un business model disruptif en cassant tous les codes de la chasse de têtes. Rencontre.

Décideurs. En quoi votre modèle est-il différent de celui des autres acteurs du marché comme les chasseurs de têtes??

Michel David. Je n’ai, de fait, pas grand-chose à voir avec les chasseurs de têtes. Et pour cause?! Je suis chargé par les fonds d’investissement de mettre en place au sein de l’une de leurs participations majoritaires des équipes de top management qui investissent dans un projet auquel elles croient. Je suis un pure player du private equity. D’ailleurs, je conseille uniquement les fonds dans leurs recherches de CEO, board member ou CFO. Je réponds donc à une demande très précise qui correspond à un marché extrêmement étroit et c’en est heureux. En France, les personnes qui font le même travail que moi se comptent sur les doigts d’une demi-main?! Les grands groupes de chasseurs de têtes, quant à eux, adoptent une approche totalement différente. Ils ont une approche hybride qui les conduit à intervenir à la fois en private equity et en corporate et sur un score bien plus large de fonctions managériales. Ils suivent des process établis, légitimes par ailleurs au vu de leur organisation propre (base de données, annuaires, évaluations, etc.). Mon modèle est radicalement disruptif. Je dispose de 100 % de mon capital, j’ai une liberté totale de manœuvre et de ton.

 

Vous dites que votre hyperréactivité fait votre force. Cette agilité ne peut-elle éveiller des doutes et se retourner contre vous??

La rapidité avec laquelle j’identifie le manager idoine est effectivement devenue ma marque de fabrique. Bien souvent, je trouve la bonne personne en vingt-quatre heures. Parfois moins. Et j’ai remarqué que ma première intuition est la bonne dans 80 % des cas?: le profil auquel j’avais pensé de prime abord sera effectivement celui que je présenterai in fine au fonds. Cela dit, il arrive que certains fonds demandent à voir un, parfois deux, autres candidats, pour conforter leur idée. Du côté des chasseurs de têtes traditionnels, les délais sont bien plus longs et s’expriment en semaines, voire en mois. Le résultat peut, bien entendu, être le même que celui auquel j’aurais abouti mais le processus aura fait perdre beaucoup de temps à tout le monde. Pourtant, je conçois que le modèle corporate puisse rassurer certains fonds pour qui les long lists, les études approfondies du secteur et de l’entreprise sont primordiales. Je ne travaille pas du tout comme ça. Mon image de sprinter me convient parfaitement.

 

« C’est la mise en perspective de l’individu et de son énergie face au projet qui est compliquée»

Avez-vous noté une évolution dans les attentes des fonds qui vous mandatent pour trouver un CEO pour une de leurs participations sous LBO??

Aucune?! L’idée est toujours la même?: il s’agit de trouver le meilleur manager, surpuissant, hands on sur les opérations, capable de prendre par la main le fonds pour appréhender au mieux le deal et de mener à bien un projet de transformation. Prendre la tête d’un projet requiert d’avoir les reins solides, de pouvoir endurer une pression et de savoir travailler en stand alone. En un mot, ces personnes sont des hommes d’exception. Tout le monde n’a pas envie d’investir son patrimoine personnel dans une opération de private equity avec les risques que cela comporte. Si tout se passe bien, il sera rémunéré à hauteur de son engagement. De manière générique, le manager doit avoir une connaissance précise du secteur ou d’un secteur connexe pour y avoir déjà travaillé (exception faite des situations spéciales pour lesquelles le profil du dirigeant peut être différent) et avoir été CEO ou patron d’une business unit (BU) autonome. Surtout, il doit être animé d’un fort esprit d’entrepreneurship, vouloir prendre en main son destin et laisser son imprimatur sur un projet qu’il a construit et auquel il croit.

 

L’aspect investisseur du manager est primordial…

Il est absolument inconcevable de placer un manager qui n’investirait pas dans le projet qu’il porte. Ça n’aurait aucun sens. C’est là toute la différence avec le corporate?: la prise de risque fait partie intégrante du métier. Cette force de caractère n’est pas donnée à tout le monde et nul n’oblige personne à sauter le pas. Les bons CEO sont des gens rares qui prennent leurs responsabilités vis-à-vis du fonds actionnaire de référence. Pour autant, il ne faut pas être un ayatollah de l’investissement. Le commitment financier doit être significatif au regard du propre patrimoine et de la situation personnelle du manager sans faire peser sur lui un risque démesuré. Tout est dans la mesure. Il existe un montant standard d’investissement au démarrage pour une position de CEO de l’ordre d’un an de salaire fixe et bonus mais ce n’est qu’un ordre de grandeur. Le fonds qui imposerait un montant serait dans l’erreur.

 

« En France, les personnes qui font le même travail que moi se comptent sur les doigts d’une demi-main ! »

Comment dénichez-vous ces « hommes d’exception »?? Comment alimentez-vous votre vivier??

Tout se fait très naturellement. J’ai mis en place un nombre important de CEO, board members et de CFO. Je baigne depuis plus de dix ans dans le milieu du private equity, je rencontre en permanence de nouvelles têtes. Souvent, ce sont les fonds ou les chasseurs de têtes eux-mêmes qui m’envoient des managers parce qu’ils savent que Creative Value est l’une des plaques tournantes des opérations de capital investissement en France. Ma connaissance du private equity interpelle. Je ne fréquente que cet écosystème (fonds, banquiers, avocats, conseils, etc.) ce qui me permet d’être au courant de la plupart des transactions du secteur. Ainsi, je renouvelle mon « vivier » toutes les vingt-quatre heures. Finalement, ce sont les candidats entrepreneurs qui viennent chez Creativevalue. Je ne les « chasse » pas au sens traditionnel du terme.

 

Arrive-t-il que des managers refusent finalement d’accompagner le fonds qui vous mandate??

Parfois. Et c’est une attitude saine. Je comprends tout à fait qu’un manager ne veuille pas investir dans un projet auquel il ne croit pas. Ma mission est de trouver la personne la plus à même de convenir à un projet, de le porter et d’en assurer la réussite. C’est la mise en perspective de l’individu et de son énergie face au projet qui est compliquée. Ma plus-value réside dans mes capacités à résoudre cette équation. Or, il n’y a pas dix personnes capables de mener le même projet. Je ne crois pas du tout à la short list, ou alors à l’utra short list. La notion même de candidat n’existe pas?: je ne rencontre que des patrons futurs actionnaires à qui je présente un projet. Je leur donne un descriptif très opérationnel et sans détour de ce qu’il en est et des risques encourus. La décision leur revient entièrement. Je cherche à mettre en place de véritables équipes commando, des personnes solides capables de porter un projet. Je ne cherche pas à les convaincre tout comme je ne me permets jamais de juger de la pertinence du projet du fonds. Ce n’est pas mon rôle. À chacun de prendre ses responsabilités.

 

« Mon image de sprinter me convient parfaitement »

Dans un contexte où la concurrence entre fonds est féroce, la personnalité d’un manager peut-elle faciliter le closing d’un deal??

Dans le cadre d’une auction dans un montage d’un management buy in (MBI), le rôle du manager est décisif. Il accompagne le fonds en amont de l’opération pour qualifier le deal en fonction de sa vision industrielle et affiner sa valorisation. Mais la multiplication des deals intermédiés complique fortement sa tâche. Les banques d’affaires ou intermédiaires ont tendance à limiter les informations sur le projet et parfois à entraver l’accès au fonds, au dirigeant repreneur ou aux informations pertinentes. Elles ont tout intérêt à ce que le prix du deal soit le plus élevé possible, ce qui peut décourager un manager (par extension idéalement le fonds) qui doit investir sur une fair value. D’où l’importance que le manager « entrant » connaisse le secteur de la cible pour en maîtriser les sous-jacents, voire les chausse-trappes de la valorisation.

 

Quel est votre sport préféré ?

J’ai pratiqué vingt ans de boxe française. Je sais recevoir et donner des coups dans les règles de l’art.

 

 

Propos recueillis par Sybille Vié

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