Fin connaisseur du secteur de la construction, auteur du rapport du Medef rendu public en décembre 2015 « Les infrastructures de réseaux au service de la croissance », Jean-Louis Marchand livre ici sa vision du secteur et ses préconisations.

Décideurs. De par vos différentes fonctions, vous avez une vision élargie du secteur de la construction et de son évolution. Quelle est votre lecture de la reprise actuelle ?
Jean-Louis Marchand. Elle se fait après une baisse drastique d'activité qui a conduit à des réductions de plusieurs dizaines de milliers d'emplois. Le point bas semble avoir été atteint en France, une reprise dans le bâtiment étant plus sensible que dans les travaux publics, même si globalement le dynamisme de cette reprise est inférieur à celui observé dans d'autres pays européens, en Allemagne notamment. Le marché a été de plus perturbé par le sujet des travailleurs détachés. On observe une substitution des frais de mains d'œuvre interne par de la sous-traitance dans les pays d'accueil de ces travailleurs détachés, qui viennent à manquer dans leur propre pays d'origine, en Bulgarie par exemple. Ce sujet est d'autant plus préoccupant que le secteur, face à de nombreux défis, doit développer la formation. Il est difficile pour les entreprises d'embaucher des apprentis alors même que les collectivités locales, qui constituent une partie très importante des commandes de la construction sont incapables de leur donner de la visibilité sur leurs perspectives. La mise en place d'un système de formation efficace est indispensable si l'on veut pouvoir, à moyen et long terme, disposer de la main d'œuvre nécessaire pour réaliser les très nombreux chantiers que susciteront la transition écologique et énergétique, l'adaptation des infrastructures aux conséquences du changement climatique ou la préservation des ressources naturelles.

 

Quoi de neuf sur le front des infrastructures depuis la publication du rapport du Medef ? Le classement publié chaque année par le Forum économique mondial quant à la qualité des infrastructures des différents pays est sans appel: la France, qui était historiquement en tête, perd désormais une place tous les ans. Cette baisse s'observe dans tous les types d'infrastructures : transport, énergie, environnement ou communications. Il n'y a pas de compétitivité des territoires et des entreprises sans infrastructures de qualité, cela fait désormais consensus, mais les besoins d'adaptation et de renouvellement sont énormes: nous avons évalué à cinquante milliards d'euros le déficit de financement à l'horizon 2020 pour les infrastructures de réseaux. Il est évident que le comblement de tout ou partie de ce manque passe par la mobilisation de financements privés, et l'utilisation la plus judicieuse possible de l'argent public, en lui conférant les effets de levier maximum. Cela pose le problème de la gouvernance des infrastructures, aujourd'hui inorganisée. Nous appelons à faire jouer aux nouvelles régions un rôle essentiel en la matière. Elles ont en charge le développement économique, elles doivent donc être en charge de la gouvernance des infrastructures, indispensables au développement économique. C'est à elles de donner une visibilité aux acteurs industriels, économiques et financiers quant aux projets d'infrastructures, en les associant aux arbitrages rendus, et en permettant aux investisseurs privés de s'y intéresser. Nous proposons à cette fin, sous l'égide des régions, la création de portails régionaux de projets, dans l'esprit du portail européen créé pour le plan Juncker.

Promouvoir l’attractivité et le potentiel d'innovation de la construction 

Quel regard portez-vous sur les défis et évolutions qui attendent le secteur, notamment le BIM ? Le BIM est un défi majeur pour toutes les entreprises du secteur de la construction, quelles que soient leurs spécialités. Le développement de l'usage des technologies numériques influera sur l'ensemble des processus de production et d'organisation des entreprises, sur la conception et le déroulement des chantiers comme sur le management interne ou les relations avec les clients, les fournisseurs ou les sous-traitants. On est très loin de la conception 3D ou de la maquette numérique, qui, originellement, ont été les premières applications du BIM, mais qui n'en sont ou seront qu'une partie parmi beaucoup d'autres. Au sein de la FIEC, nous nous efforçons de sensibiliser l'ensemble des entreprises, les plus petites notamment, à ces évolutions irréversibles, pour qu'elles puissent les anticiper, et continuer de jouer le rôle important qui leur est dévolu dans l'ensemble du processus de construction. Ce développement du BIM est une opportunité pour mieux faire comprendre les spécificités, les complexités et l'importance de la construction, faire évoluer son image, et promouvoir son attractivité et son potentiel d'innovation auprès des jeunes. La construction n'est ni un produit (même si elle utilise des produits), ni un service (même si les ouvrages construits permettent de délivrer des services). Le BIM donne l'occasion de l'expliquer, et de promouvoir l'adaptation des directives européennes à ses particularités. Chaque chantier est unique, chaque ouvrage est un prototype: les salariés de la construction, qui représentent de l'ordre de 15% de l'ensemble des emplois en Europe, méritent de disposer d'un cadre réglementaire adapté aux défis et aux enjeux qu'ils affrontent.

 

Propos recueillis par Laetitia Sellam

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