Par Richard Renaudier et Marine Nossereau, avocats associés. Cabinet Renaudier
Depuis six ans, la CJUE a condamné plusieurs réglementations nationales relatives aux promotions des ventes. La décision de la CJUE du 10?juillet 2014 déclarant la réglementation belge relative aux annonces de réductions de prix incompatible avec le droit européen sonne le glas des règles nationales, notamment françaises, plus restrictives que celles de la directive.

La directive 2005/29 du 11?mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales («?PCD?») devait initialement s’insérer dans un ensemble : la directive encadrait les PCD et un règlement devait libéraliser les règles relatives aux promotions des ventes dans le marché intérieur. La proposition consistait à ne plus interdire ou réglementer, au niveau national, les comportements promotionnels (revente à perte, ventes avec prime, loteries, soldes, liquidation, communication sur les prix) avec pour corollaire d’imposer aux promoteurs une forte exigence sur la loyauté de l’information délivrée au consommateur. Le règlement n’aurait maintenu que quelques rares interdictions (rabais sur les livres ou certains cadeaux à des mineurs).
Finalement, seule la directive a été adoptée en 2005 alors que le projet de règlement a été abandonné par la Commission européenne en 2006. La France a ainsi cru pouvoir modifier a minima son droit de la consommation en intégrant la notion de PCD sans pour autant supprimer les règles spécifiques préexistantes. En conséquence, le Code de la consommation définit les comportements déloyaux, trompeurs et agressifs, et reprend la liste dressée par la directive des comportements qui sont trompeurs en toutes circonstances. Par ailleurs, il maintient les réglementations préexistantes : interdiction des loteries, des ventes liées, des ventes avec primes, réglementation sur la communication sur les prix.
Depuis, la CJUE a été sollicitée à huit reprises (1), que ce soit pour constater les manquements de certains pays dans la transposition de la directive ou pour répondre à des questions préjudicielles, requérant de la CJUE son interprétation sur la compatibilité des réglementations nationales avec le droit communautaire. La CJUE a alors développé sa jurisprudence, selon laquelle la directive a pour but une harmonisation complète, laissant peu de marge d’appréciation aux États membres lors de sa transposition. Il en résulte que seuls les comportements identifiés par la directive comme déloyaux sont interdits en eux-mêmes. Tous les autres comportements doivent être évalués au cas par cas au regard de la définition même des pratiques déloyales, trompeuses ou agressives. Ils ne peuvent être interdits sans que soit apportée la preuve qu’ils sont des PCD.

Toute interdiction de principe d’une pratique commerciale est condamnée

La CJUE s’est prononcée sur les lois belges concernant les prix de référence, la revente à perte et les ventes conjointes, sur les lois autrichiennes sur les liquidations et sur les réductions de prix interdites à certaines périodes de l’année, ainsi que sur la loi allemande sur les jeux et loteries. Pour toutes, il a été rappelé que, tant qu’elles visent la protection du consommateur, ces législations ne peuvent être maintenues car le droit communautaire s’oppose à ce que ces comportements soient illicites en dehors de l’évaluation de leurs effets concrètement déloyaux.
La France, à laquelle la Commission avait indiqué qu’elle estimait que sa transposition de la directive était insatisfaisante, n’a pas fait l’objet directement des décisions citées mais dispose dans son droit de règles très similaires à celles qui ont été décrites par les décisions. Elle a cherché à éviter tout reproche en agissant ponctuellement mais elle est encore très réticente à proposer une réforme réelle de son droit des promotions des ventes, fortement impacté par cette jurisprudence.

L’interdiction française de la revente à perte pourrait échapper au reproche

Concernant l’interdiction de la revente à perte, très populaire en France, la CJUE déclare la législation belge incompatible avec la directive car celle-ci poursuivait «?des finalités tenant à la protection des consommateurs?». Cette motivation a permis d’éviter sa remise en cause en France au motif que l’interdiction prévue par le Code de commerce avait pour objet la protection des commerçants et non des consommateurs.
En réaction aux autres décisions de la CJUE, certaines adaptations ponctuelles ont été apportées au fil de l’eau au droit français. En matière de liquidation, on est passé d’un régime d’interdiction à un régime de déclaration, pour échapper à la critique. En matière de loteries publicitaires et de ventes avec primes, il a été précisé qu’elles ne sont plus interdites que «?dès lors que la pratique en cause revêt un caractère déloyal au sens de l’article L 120-1 du Code de la consommation?».
De la sorte, les textes français d’interdiction demeurent, bien que vidés en grande partie de leur caractère contraignant. La question de leur efficacité est alors posée mais tout le monde semble s’en accommoder.

La réglementation belge sur les annonces de réduction de prix récemment condamnée
Il en va un peu différemment depuis la décision de la CJUE du 10?juillet 2014 qui condamne la réglementation belge sur les annonces de réductions de prix au motif que celle-ci impose de retenir comme prix de référence le prix effectivement pratiqué pendant le mois précédant la communication publicitaire. Or, la Commission avait adressé les mêmes reproches à la France au motif que sa réglementation était plus restrictive que la directive.
La France a conclu de cette décision que l’arrêté du 31?décembre 2008 sur les annonces de réduction de prix était devenu inapplicable, car il comporte des dispositions comparables à la loi belge sur le prix de référence. La DGCCRF a en effet annoncé qu’elle diffuserait la consigne de ne plus procéder à des contrôles sur ce fondement. Toutefois, elle se réserve la possibilité de qualifier toute communication de déloyale au regard de la définition légale des pratiques déloyales. Cette situation laisse les opérateurs démunis car, d’un côté, ils savent qu’ils peuvent envisager des communications sur les prix (type prix barrés) prenant un autre référentiel que le prix pratiqué au cours du mois précédent mais, de l’autre, ils ignorent tout de ce que l’administration qualifiera de trompeur.
Dans un souci de sécurité juridique, pour chacune de ces pratiques commerciales réglementées qui ont été mises en cause par la CJUE (vente avec prime, vente subordonnée, loterie payante, annonce de réduction de prix), il serait utile que l’administration donne un éclairage sur les circonstances dans lesquelles elle pourrait considérer qu’elle est susceptible de constituer une pratique déloyale, c'est-à-dire «?qu’elle altère (…) le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé?».
Mais, en toute hypothèse, la jurisprudence de la CJUE offre à l’évidence aux opérateurs une plus grande souplesse pour la mise en place de leurs pratiques commerciales
et promotionnelles.

1 CJUE 23 avril 2009 aff. C-299/07, CJUE du 14 janvier 2010 aff. C 304-08, CJUE 9 novembre 2010 aff. C-540-08, CJUE du 30 juin 2011 aff. C-288/08, CJUE 15 décembre 2011 aff. C-126/11, CJUE 17 janvier 2013 aff. 206/11, CJUE 7 mars 2013 aff. C-343-12 ; CJUE 10 juillet 2014 aff. C-421/12.



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