Par Amaury Sonet, avocat associé. BFPL
Réflexions autour de la loi économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014, du décret du 28 octobre 2014 et du guide pratique établi par le ministère de l’économie. Une « information » des salariés s’impose dorénavant en cas de cession dans la plupart des entreprises de moins de 250 salariés. La règle ainsi posée est-elle claire ? Rien n’est moins sûr.

La loi du 31 juillet 2014 dite loi économie sociale et solidaire a créé au profit des salariés de la plupart des entreprises commerciales de moins de 250 salariés (1), un droit d’information sur la transmission de leur entreprise. L’un des objectifs de la loi est de permettre au salarié intéressé d’émettre éventuellement une offre de rachat lorsqu’une vente sera envisagée. Sont venus compléter ce texte de loi un décret du 28 octobre 2014 et un guide pratique à destination des salariés et des chefs d’entreprise établi par le ministère de l’économie (2). L’obligation nouvelle qui pèse sur le chef d’entreprise est floue (I) tandis que la sanction est lourde (II).

Une obligation floue
Le certain
- La nature des cessions visées
Toutes les transmissions d’entreprises conclues à partir du 1er novembre 2014 ne sont pas soumises à la nouvelle obligation d’information. Sont exclues : les cessions intervenant à l’issue d’une négociation exclusive débutée par voie contractuelle avant cette date ; les cessions de fonds artisanaux ; la cession progressive de blocs minoritaires ; l’augmentation de capital et valeurs mobilières composées ; les cessions touchant aux entreprises faisant l’objet d’une procédure collective ; les TUP selon l’Administration (3) ; les cessions dans le cadre de succession, liquidation du régime matrimonial ou de cession de la participation à un conjoint, un ascendant ou un descendant et les cessions d’activité règlementée si l’un des salariés au moins pouvant présenter l’offre d’achat ne remplit pas les conditions requises.
- La procédure
Dans les entreprises de moins de cinquante salariés, la réalisation de la cession ne peut pas intervenir avant un délai de deux mois après que tous les salariés ont été informés, délai qui peut être réduit dès lors que chaque salarié a fait connaître au cédant sa décision de ne pas présenter d’offre. Dans les PME de plus de quarante-neuf salariés, les salariés sont informés au plus tard au moment où le CE est saisi pour avis sur le projet de cession ; il n’y a alors pas de délai spécifique car la procédure est celle de consultation du CE.

Le certainement
- La forme de l’information
La sécurité juridique impose au cédant de pouvoir justifier avoir rempli son obligation. Le décret fait état d’une liste non exhaustive de six moyens d’information. La forme de la remise en main propre contre décharge (préférable même à la LRAR car l’administration indique alors qu’il faut prendre en compte la date de réception de la LRAR mais on peut imaginer un salarié qui n’irait pas chercher son recommandé), s’impose certainement a minima.
- Le contenu de l’information
La seule obligation d’information porte sur l’intention du cédant de procéder à la cession de son fonds de commerce ou de ses titres et du fait que les salariés peuvent lui présenter une offre d’achat. Ni le prix, ni les modalités de la cession envisagée n’ont à être indiqués à ce jour et il faudra attendre la position des juges sur ce point.

L’incertain
- Au regard des salariés : la nature juridique du droit créé : droit de préemption ? de préférence ? autre ?
La doctrine avait plutôt tendance à exclure la notion de droit de préférence ou de préemption (4). Le guide pratique publié indique que le cédant est totalement libre de choisir s’il souhaite ou non entrer en négociation avec un ou plusieurs salariés et qu’il n’a aucune obligation de transmettre les informations habituelles en la matière. On sent dans l’interprétation administrative le spectre d’une sanction du texte pour atteinte au droit de propriété ou au droit de contracter ; pour autant, il est loin d’être certain que les juges aient cette vision restrictive du droit des salariés.
- Au regard des parties : exclusivité, confidentialité et discrétion
Le nouveau mécanisme porte atteinte à l’exclusivité de négociation et à la confidentialité généralement consenties. Les salariés, comme leur conseil, seront cependant tenus à une « obligation de discrétion », dont le régime est connu puisque calqué sur celui pesant sur les membres du comité d’entreprise. Or « la discrétion à laquelle peut être tenu un représentant du personnel consiste évidemment à ne pas divulguer la teneur de l’information confidentielle à des personnes non tenues elles-mêmes à l’obligation de discrétion » (5).

Une sanction lourde
La nullité comme sanction
La cession intervenue en violation de l’obligation d’information préalable peut être annulée. L’Administration estime que le demandeur ne peut être qu’un salarié et que le juge disposerait d’un certain pouvoir d’appréciation lui permettant de ne pas être obligé de déclarer la cession nulle. La sanction est lourde et nous sommes réservés sur la vision administrative des pouvoirs du juge. Conformément au droit commun, il nous paraît possible à toute personne justifiant d’un intérêt à agir de solliciter la nullité ; quant aux pouvoirs du juge, il reviendra à ce dernier de les affirmer.

Le régime de l’action en nullité
Le juge ne sera pas le Conseil de prud’hommes mais le Tribunal de commerce, sauf si la vente du fonds est effectuée par un non commerçant auquel cas le TGI sera compétent. Le délai de prescription est de deux mois à compter de la date de publication de l’avis de cession du fonds de commerce et, en cas de cession de titres, de la date à laquelle tous les salariés ont été informés de cette cession. Ce qui rend d’autant plus important la preuve de ladite information.
En conclusion, ces textes posent plus de questions qu’ils ne semblent en résoudre. Nul doute que les syndicats, institutions représentatives du personnel et salariés vont vouloir étendre le champ d’application de leur nouveau droit. Les rédacteurs d’actes et plaideurs auront à tenter de répondre aux questions posées et chercher de convaincre le juge du bien-fondé de leur interprétation et auquel il reviendra de lever les nombreuses interrogations soulevées.

1 Pour les entreprises de 50 à moins de 250 salariés, celles ayant un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 5 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros
2 http://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/20141028_guide_pratique_information_salaries_entreprises.pdf
3 Et les scissions et fusions selon certains commentateurs
(C. GARNEIR et B. BOURGEOIS ; RLDA
n°99 décembre 2014 ; nous sommes plus réservés
4 A. COURET et V. DELAGE, JCP ed E 2014
n°36 du 4 septembre 2014
5 M. COHEN, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, 9e ed., LGDJ, page 532.


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