Lors d’une rencontre informelle avec la presse, le commissaire européen Pierre Moscovici s’est exprimé sur son ressenti pendant la campagne présidentielle française, et a défendu son bilan fiscal. Retour sur cet échange riche en enseignements.

La rencontre a lieu le mardi 11 avril, au deuxième étage d’une brasserie du 9e arrondissement. Pierre Moscovici a commencé sa journée sur la chaîne parlementaire pour parler déficit public et lutte contre la fraude fiscale. Il arrive directement à la suite de son interview, prêt à réitérer l’exercice face à une dizaine de journalistes de la presse économique et financière. Mais les problématiques liées à son mandat de commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes peuvent attendre. L’ancien ministre de l’économie et des finances évoque en premier lieu cette campagne présidentielle inédite, qu’il a suivie avec beaucoup d’attention depuis Bruxelles. « Intéressante », « mouvementée », « imprévisible », les mots ne lui manquent pas pour décrire cette course à la présidence. Pour lui toutefois, la plupart des candidats souffrent d’un sévère manque de vision sur l’Europe : « Dans cette campagne dominée par le sujet de la souveraineté, l’Europe devrait être au cœur du débat. » Une nouvelle impulsion pourrait naître sur le Vieux Continent, où se jouent cette année non seulement le scrutin français, mais aussi les élections fédérales allemandes, qui ont lieu tous les quatre ans.

 

« Je ne suis pas euro-satisfait »

Europe transparente

« Le prochain président devra faire son premier voyage à Berlin, son second à Bruxelles. » Farouchement opposé aux idées défendues par Marine Le Pen, Pierre Moscovici, pour qui sortir de l’Europe serait « une erreur historique considérable », n’en est pas moins convaincu que le continent doit changer : « Je ne suis pas euro-satisfait. Il y a urgence à changer, à démocratiser les institutions et à recréer du lien avec les citoyens. » Pour ce faire, le commissaire reconnaît la bonne « intuition » de Benoît Hamon, dont l’une des propositions est la création d’une assemblée de la zone euro, pour remplacer le conseil des ministres des finances qui se réunit à huis clos et ne communique aux usagers de la monnaie aucune information sur ces rencontres. « Recréer du lien est avant tout une question démocratique », analyse Pierre Moscovici. Cela pourrait passer, par exemple, par la nomination d’un président de la Commission directement issu des élections européennes. « Les institutions européennes sont déjà plus transparentes que de nombreuses institutions nationales », rappelle toutefois l’ancien ministre chargé des affaires européennes, ajoutant au passage que les députés européens n’ont pas le droit d’embaucher des membres de leur famille, et ce depuis 2009. Le problème de l’Europe serait-il avant tout un problème de communication ? En partie, concède-t-il, mais ce travail « revient aux États ». La Commission européenne compte seulement 32 000 fonctionnaires, contre plus de 50 000 agents municipaux pour la seule ville de Paris ! Une petite administration, en somme, que le commissaire appelle à considérer « comme un relais, et non un problème ».

 

Crédibilité budgétaire

Ce relais ne sera vraiment utile que si la France maintient sa crédibilité, notamment budgétaire. « Le respect de la règle des 3 % n’est pas superflu, affirme Pierre Moscovici. La crédibilité budgétaire sera l’un des marqueurs qui permettra la relance du couple franco-allemand. Et si l’on veut que l’Allemagne soit plus ambitieuse, il faut une France plus crédible, une France qui tient ses engagements. » Devenue l’un des piliers de la construction économique européenne, cette règle n’est pour lui plus qu’un débat franco-français. « Dès l’an prochain, l’Espagne passera sous cette barre symbolique. La France ne doit pas être le mauvais élève de l’Europe. » Le commissaire explique que, si le chiffre peut être arbitraire, il existe toutefois un lien indiscutable entre le poids de l’endettement et la capacité d’un État à financer son service public. Certains de nos voisins ne disposaient pas de conditions macroéconomiques – taux de chômage, croissance – meilleures que les nôtres et y sont arrivés. « Nous ne l’avons pas fait et cela ne nous a rien rapporté. » Le principal reproche adressé aux candidats est simple : d’être, tous, des « Européens timides », alors qu’une majorité de Français reste attachée à l’Union – selon un sondage Ifop publié au mois de mars 2017, la moitié des Français pense que la construction européenne a eu des effets positifs pour la France, et les trois quarts sont opposés à une sortie de la zone euro.

 

« Il n’y a pas de paradis fiscal dans l’Union européenne »

Fiscalement vôtre

Pour appuyer sa vision d’une Europe utile et surtout capable de mener des réformes ambitieuses, Pierre Moscovici défend son propre bilan : fin du secret bancaire, réforme de la TVA, échange automatique d’informations… Il est vrai que les mesures ne manquent pas. « Depuis le 1er janvier 2017, nous avons mis en place l’échange automatique d’informations sur les rescrits fiscaux. » Aussi appelés tax rulings, ces documents doivent permettre de lutter contre l’évasion fiscale, en accord avec les règles BEPS (base erosion and profit shifting) portées par l’OCDE. Le commissaire défend également ses positions sur la réforme de la TVA, qui devrait faire l’objet d’une proposition d’ensemble d’ici à la fin de l’année. « Le maître mot de cette mesure est la simplification », affirme le commissaire. Elle permettra notamment aux entreprises d’appliquer le taux de TVA du pays d’origine sous un seuil de ventes de 10 000 euros. « L’étude d’impact que nous avons réalisée estime que l'Accis permettra de diminuer de 8 % le temps consacré aux activités de mise en conformité chaque année et que le temps nécessaire à l’établissement d'une filiale pourrait être réduit de quelque 67 %. Cela facilitera l'installation des sociétés, et notamment des PME, à l'étranger. » Autre chantier d’envergure, l’assiette commune consolidée sur l’impôt sur les sociétés, qui permettra de réduire « de manière drastique » les coûts de conformité. « Nous avons besoin d’unicité, d’une assiette commune, plaide Pierre Moscovici. Nous n’avons pas de pouvoir sur le taux applicable. Mais la convergence est tout à fait cruciale. »

 

Paradis perdu

À la question de savoir ce qu’il fait pour lutter contre les paradis fiscaux en Europe, l’ancien ministre est catégorique : « Il n’y a pas de paradis fiscal dans l’Union européenne. » D’ici à la fin de l’année, Bruxelles doit avoir établi la fameuse liste noire des paradis fiscaux, qui devrait compter environ quatre-vingt-dix États, dont aucun n’est un membre de l’Union. « Certains pays sont fortement compétitifs sur le plan fiscal », concède Pierre Moscovici. Aux rangs desquels l’Irlande figure en bonne place. Les craintes d’une politique fiscale très avantageuse au Royaume-Uni ont également commencé à s’élever, alors que le processus de sortie de nos voisins de l’Union a été officiellement lancé au mois de mars. Balayant les spéculations, le commissaire rappelle que « la fiscalité reste un volet de compétence nationale ». Toujours sur le feu, le projet de taxe sur les transactions financières est quant à lui en bonne voie : « J’ai bon espoir qu’une décision de principe puisse être prise avant l’été. » Onze États sont aujourd’hui réunis autour de ce projet lancé en 2011 et qui, faute d’unanimité, est devenu une proposition de coopération renforcée – c’est-à-dire que peuvent ne pas adopter les pays de l’Union ne le souhaitant pas. Porté par les quatre grands de la zone euro, à savoir la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, elle devrait prendre la forme d’une taxe d'un montant de 0,1% sur les actions et de 0,01% sur les produits dérivés. À moins d’un revirement politique sans précédent, d’un côté ou de l’autre du Rhin.

 

Camille Prigent

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