Nul n’a pu passer à côté du phénomène de société Uber. Malgré de nombreux obstacles réglementaires, le leader des applications de VTC ne cesse de s’étendre à travers le monde. Il est désormais présent dans 71 pays. Thibaud Simphal, directeur Europe de l’Ouest, revient sur les éléments qui font le succès de l’entreprise américaine ainsi que sur ses relations parfois tendues avec les chauffeurs.

Décideurs. Vous venez d’être promu regional general manager Western Europe d’Uber. Sur les différents marchés que vous couvrez, quelle place occupe la France ?

Thibaud Simphal. L’objectif d’Uber est de démocratiser le transport à la demande pour une meilleure mobilité des citoyens, tout en garantissant de nouveaux revenus aux chauffeurs qui font le choix d’utiliser l’application. La France est le marché où la mobilité à la demande est la plus démocratisée, notamment grâce à un cadre législatif préexistant, celui du VTC, qui a permis à de nombreux chauffeurs d’exercer ce métier. L’application est déjà disponible dans onze agglomérations (Paris et l’ensemble de la région parisienne où le service se déploie très vite, Lille, Strasbourg, Lyon, Nice, Cannes, Marseille, Aix-en-Provence, Toulouse, Bordeaux, Nantes). Aujourd’hui, plus de deux millions de Français se déplacent en Uber et 17 000 chauffeurs sur quelque 25 000 VTC français utilisent l’application pour être mis en relation avec des passagers.

Au Portugal ou en Suisse, le service se développe également très rapidement en raison d’un très fort intérêt des citoyens, mais aussi d’un accompagnement politique puisque des législations favorables sont peu à peu mises en œuvre. Dans les autres pays, les législations ne sont pas encore adaptées à la croissance du secteur, mais partout on sent que les citadins ont envie de profiter des nouvelles technologies pour se déplacer en un clic et se passer de leur voiture individuelle.

 

« La croissance est actuellement la plus forte en Afrique et en Amérique latine »

Malgré sa domination dans le secteur des VTC et un chiffre d’affaires en hausse, Uber n’est toujours pas rentable. Quels obstacles vous empêchent encore d’atteindre l’équilibre ? La situation est-elle jugée préoccupante en interne ?

Nous avons décidé d’investir massivement afin d’internationaliser rapidement l’application Uber. Pour ce faire, nous avons levé des fonds importants à plusieurs reprises, autour de dix milliards de dollars au total. En à peine cinq ans, l’application est déjà disponible dans plus de 500 villes et 71 pays où elle est utilisée par des millions de passagers et plus de deux millions de chauffeurs. C’est en Afrique et en Amérique latine que la croissance est la plus forte, les pouvoirs publics accueillant à bras ouverts cette nouvelle solution de mobilité. Le développement continue d’être rapide en Europe et aux États-Unis où Uber s’avère complémentaire aux transports en commun. Cela a un coût, mais les prévisionnels sont bons.

 

En septembre 2016, Uber a lancé une flotte de quelques véhicules autonomes à Pittsburg aux États-Unis. Ce service peut-il arriver en France à moyen terme ?  

Uber part d’un questionnement simple : comment faciliter la mobilité et remplacer la voiture individuelle (coûteuse, utilisée seulement 4 % du temps, occupant 15 % de l’espace public pour se garer…) ? Nous ne serons prêts à délaisser notre véhicule individuel que s’il nous est possible de nous déplacer de manière simple, accessible et sécurisée. En France, il existe déjà un écosystème de transports en commun très efficace, nous y ajoutons la possibilité d’accéder au transport à la demande (uberX le service économique, Berline le service premium, uberGREEN qui permet de commander un véhicule propre). Nous poussons la démarche jusqu’à permettre désormais, avec uberPOOL, de partager ses trajets avec d’autres utilisateurs qui se rendent dans la même direction.

En parallèle, nous expérimentons le véhicule autonome à Pittsburgh car cette technologie arrivera un jour. Nous investissons afin d’être de cette révolution, avec le recrutement d’équipes à Pittsburgh et l’acquisition récente d’Otto (camion autonome). Tout indique que sur le plan de la sécurité et de la mobilité à la demande, ce sera un progrès considérable pour les citoyens. Imaginez tout ce temps perdu à conduire qui nous sera alors rendu pour travailler, se reposer, discuter…

« Nul ne sait exactement quand le véhicule autonome sera démocratisé »

Mais nul ne sait quand précisément le véhicule autonome sera démocratisé. Cela dépendra avant tout de la volonté des villes d’établir les régulations adéquates, et c’est la question qui se pose à Paris.

Par ailleurs, nous venons de lancer un projet, UberELEVATE, ambitionnant d’élaborer d’ici trois ans un prototype d’avion ou de voiture volante électrique autonome permettant de transporter un ou deux passagers d’un point A à un point B. Imaginez traverser une grande métropole en quelques minutes !

 

Quel impact aura la « loi anti-VTC » promulguée fin 2016 sur votre activité ?

En l’espace de quelques années à peine, le secteur en est déjà à sa deuxième loi et sa troisième médiation. La loi « Grandguillaume » vise à interdire aux chauffeurs exerçant sous le statut Loti de travailler avec les applications dans les villes de plus de 100 000 habitants avec des véhicules de moins de 10 places.

Les chauffeurs qui travaillent en tant que salariés d’entreprises Loti devront donc devenir VTC d’ici au 31 décembre 2017. Or, en même temps, la compétence pour organiser l’examen VTC a été transférée de centres d’examens privés aux chambres des métiers et de l’artisanat qui n’étaient visiblement pas prêtes puisque cet examen n’a été organisé ni en janvier, ni en février ni en mars, et a priori ne le sera pas non plus en avril. De plus, l’anglais est devenu éliminatoire et l’orthographe est désormais sanctionnée, ce que de nombreux chauffeurs considèrent comme discriminatoire.

Nous sommes donc inquiets pour eux car rien ne nous assure qu’ils puissent continuer à exercer leur métier. Nous sommes également inquiets pour les passagers, car pendant ce temps, chaque jour plus de Français utilisent les VTC, et s’il n’y a pas assez de chauffeurs, soit le temps d’attente s’allongera, soit les prix augmenteront. Dans les deux cas les passagers seront dissuadés d’utiliser le transport à la demande, au détriment de tous.

 

« On assiste à un phénomène mondial de « plateformisation » lié au progrès technologique »

Vous avez connu quelques tensions avec vos chauffeurs par le passé. Vos relations sont-elles apaisées aujourd’hui ?

On assiste actuellement à un phénomène mondial de « plateformisation » lié au progrès technologique, qui consiste à mettre en relation des producteurs de services avec ceux qui en ont besoin. Cela bouleverse de nombreux secteurs et nécessite un accompagnement car on ne peut réguler les activités et usages du XXIe siècle avec les règles du XXe siècle !

La technologie permet aujourd’hui à plus de personnes d’être indépendantes, ce qui répond aux aspirations des jeunes générations et constitue un indéniable gage de liberté. C’est d’ailleurs ce que nous disent les chauffeurs VTC qui utilisent notre application : pour 87 % d’entre eux, le principal avantage de leur métier est d’être leur propre patron et de travailler quand bon leur semble.

Puisque les chauffeurs sont indépendants et n’ont aucune exclusivité envers Uber, ils peuvent utiliser en parallèle les applications concurrentes, travailler avec des restaurants, bars ou hôtels, ou encore avoir leur clientèle personnelle. C’est donc bien à nous, Uber, de sans cesse leur proposer plus de services pour les convaincre d’utiliser notre application.

En parallèle, les indépendants sont depuis des années moins bien dotés que d’autres travailleurs en matière de protection sociale en France, c’est un état de fait. Il faut réunir tous les acteurs concernés afin de permettre à ces nouveaux indépendants de profiter de ces progrès technologiques (davantage de travail pour eux, davantage de services pour les citoyens), tout en leur garantissant en parallèle davantage de droits que ceux dont ils bénéficient aujourd’hui (une meilleure protection sociale, accidents de la vie, retraite…).

Il y a aussi des questions fiscales et de réglementation sur les personnes qui font de ces activités des activités occasionnelles d’appoint : à partir de quel moment doivent-ils payer des impôts et cotisations sociales, et lesquels ? Faut-il prévoir un enregistrement auprès d’autorités pour déclarer son activité ? Comment gérer les travailleurs multiplateformes ? Quelles sont les conditions de rupture de contrats de partenariat ?

Ce sont tous ces changements et toutes ces interrogations qui resurgissent quand des chauffeurs manifestent. Nous essayons d’impulser la réflexion, de proposer des pistes de solutions, comme lorsque nous appelons au débat national sur l’économie à la demande, tout en écoutant ce que disent les parties prenantes. Nous sommes une entreprise de technologies globale, mais nous voulons être au service des villes et des citadins de manière très locale.

 

Par quelles initiatives Uber va selon vous semer la concurrence ?

Ce qui fait le succès d’Uber, c’est son excellence opérationnelle, symbolisée par l’émergence du terme « ubérisation » et l’entrée d’« ubériser » dans le dictionnaire Le Robert, qui le définit comme « transformer (un secteur d’activité) avec un modèle économique innovant tirant parti du numérique ». C’est pour nous une certaine fierté, puisque cela consacre l’impact que nous avons sur la vie quotidienne grâce à notre excellence technologique et opérationnelle.

Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali

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